J’ai poussé mon premier cri le 7 mars 1988. Dans une clinique du 15ème arrondissement. Exit, ensuite, le chiffre des dizaines ; c’est là que j’ai grandi. Je suis donc germanopratine. Pratique pour entrer, de dérogation en dérogation, à Henri IV. Sans indiscrétion. De la sixième à la khâgne. Le bagne le plus heureux du monde. Paradoxe immonde, quand on pense à tous ceux que la prépa assassine. Barème à la baisse. Blessures à l’égo. Déconfitures à gogo. Normale Sup ça se tente, ça se rate. Je me tâte. Direction la fac pour étudier le russe. J’en perds mon latin. Et mon grec ancien. L’heure est aux cours particuliers ; mais de palier en palier, je me leurre. Journaliste je veux être, ou ne serai pas. McGill me tend les bras. J’y cours finir mon master dans une atmosphère de rêve. Au milieu d’élèves et de caribous. L’hiver débarque. On n’en voit pas le bout. Établissement, quartier de marque. Moins vingt degrés, pourtant. Finis les simagrées. Retour au bercail. La pagaille. Inscription en thèse. Jobs d’été fortuits. Zéro cours de zumba ou de yoga gratuit. Ode au sirop d’érable. Nostalgie. Période désagréable.
Le deuxième cri qui a marqué ma vie, celui de Munch à la Pinacothèque. Hypothèque sur l’avenir. 19/20 à mon compte rendu d’exposition. Spécialisation en art. Je choisis la porte du culot ; rencontre Tesson dans un restaurant de poissons, à Odéon. Quin dîne avec lui. « Vas-y, Phiphi, donne-lui ton numéro ». Un mois plus tard, démarre mon premier stage. Élisabeth, merci. J’enchaîne au Figaro magazine. Mon nom signé sur papier glacé. Vive le cinéma d’art et d’essai ! Marre d’être pistonnée. Candidatures spontanées. Bienvenue sur France Inter. La différence ? Je fiche les livres de Stéphane Bern. On peut être bouffon sans se laisser bouffer. Si tu ne vas pas à Lagardère, Lagardère rira de toi. Le poids de mes mots me vaut un poste à Match. La vache ! J’interviewe Taddéi, Magre, Ormesson, mon idole. Décollage « presse » vers la Guadeloupe, où personne ne me loupe. Là bas, les parisiennes à la toison dorée ont pour surnom Paris(sss). Hommage étonnant à la Hilton. Dommage pour ma petite personne. Retour à Paris où je balance aux côtés de Naulleau. Superbe boulot ! Coup de pouce de mon mentor. Encore ! Poussée fièrement au Point.fr, je dis adieu au papier, bonjour au web. Ce n’est pas la première fois que je travaille pour le net. Ma préférence est, pourtant, nette. Je veux rester. D’accord, on teste « Les tweets de la semaine », lance le rédac chef. Voilà où j’en suis.
Mes crises perso, je les crie dans mon coin. L’intime, je l’écris. Point. Horreur de jouer les victimes. S. O. S. Il était une fois. S***, ô S***, pourquoi t’es-tu plantée ? Le couteau dans le cœur plein d’amertume. C’est de coutume, ma foi. Ça me regarde. De même, chasse gardée sur la grammaire. « Elle y trouve de la poésie », disait Daphné en troisième. « J’aime », aurais-je taggé sur les réseaux sociaux. Un gag. Elle avait du nez, l’amie. Un livre en cours, à ce propos. À bas les impropriétés : Après qu’il m’ait amené un espèce d’espoir, je montai sur Paris ; ce qui ne m’était jamais arrivé jusqu’à là », etc. Aie aie aie, mes esgourdes ! Quelle gourde : bataille perdue d’avance, je sais. J’aime la danse, autrement. Le chant et le ping-pong. Sauvée par le gong. Je déteste la compète. Je répète. J’abhorre la compète ; mais j’adore l’art. Croquer, muser dans les musées. Je craque. Arts Magazine liquide. D’aucuns aux freelances volent les idées. Dur de se dérider. Rejet de la culture, partout ailleurs. Rien à faire. Le Point préfère les sujets « société ». C’est la crise. Les pistes s’amenuisent. Voici le S.O.S du pigiste en détresse.
Je crie, je ris, je piaille, je braille, je sanglote, chuchote, parlemente. Quand je ne parle pas, je chante. Entre l’oral et l’écrit, je signe (cf. plus bas). Avec sourds et muets. Coup de foudre, coup de fouet. Nouvelle corde à mon arc. Je signe aussi ce blog non pour me démarquer, mais accorder, aligner mes goûts aux mots. Les incarner dans une peau lisse. Leur donner le corps, la police de mon choix. Ici, j’édicte ma loi. Voici, donc, mon carnet d’expos, le carnet illustré d’un clavier frustré.