Le moment est enfin venu ! Après une dizaine d’années de préparation, l’exposition Léonard de Vinci (1452-1519) va ouvrir ses portes, au Musée du Louvre. Une rétrospective qui a donné du fil à retordre à ses organisateurs mais qui s’annonce digne de l’attente qu’elle a suscitée. Ce sont les cinq cents ans de la mort du génie florentin à Amboise (Indre-et-Loire). Et tout le monde veut sa part du gâteau. Les musées rechignent à se séparer de leurs chefs-d’œuvre. Parmi les prêteurs, l’Angleterre remporte la palme de la générosité. L’Italie, elle, a longtemps fait la fine bouche avant de céder une vingtaine de pièces à la France. Enfin, il était question que le Salvador Mundi, adjugé il y a deux ans à un anonyme pour 382 millions euros chez Christie’s, soit montré à Paris, mais le best-seller demeure introuvable.
Un mystère et des obstacles qui appelaient une originalité accrue. « Tout n’a pas été dit sur Léonard. Nous présentons une synthèse sérieuse fondée sur de nouvelles découvertes », explique Vincent Delieuvin, conservateur en chef, chargé de la peinture italienne du XVIème siècle au Louvre. Exit l’accrochage traditionnel qui suit chronologiquement les déplacements de Vinci formé à Florence par le sculpteur Andrea del Verrocchio, partagé entre Milan, Rome, Bologne, et Venise, avant de s’éteindre en France au service du roi François 1er. À la place, les deux commissaires d’exposition ont divisé le parcours en quatre chapitres. « Ombre et lumière », « Liberté », « Science », et « Vie ».
Un découpage inédit qui permet de combattre deux idées reçues : Léonard avait tendance à s’éparpiller et il dédaignait le pinceau au point de bâcler ses œuvres. Au contraire ! La peinture, cette « chose mentale », a ses faveurs, parce qu’elle se fonde sur la science, voire une forme d’omniscience. Il faut tout savoir pour pouvoir rejouer l’acte de la Création, reproduire le monde à la manière de Dieu sur la toile. Tout traité ou dessin engendré dans l’intervalle ne sert que de préparation à l’acte sacré de création picturale. Peindre peu, pour peindre mieux, telle aurait pu être sa devise.
Outre La Cène et La Joconde, qui a inspiré au Louvre sa toute première expérience de réalité virtuelle – à découvrir en sortant de l’exposition –, La Vierge aux rochers est l’un des rares tableaux achevés de Léonard de Vinci. Il en existe deux versions, chacune destinée au retable de la chapelle de la Confrérie de l’Immaculée-Conception à San Francesco Grande, aujourd’hui détruite. La plus ancienne (1483-86) appartient au Louvre. La seconde (1491-99, puis 1506-08), conservée la National Gallery, arbore le même décor, un paysage montagneux dominé par une grotte et un cours d’eau, et les mêmes personnages. Seulement l’ange, qui se tient derrière l’enfant Jésus ne pointe plus dans la direction de saint Jean Baptiste, isolé à gauche de Marie.
On a longtemps cru que la confrérie, insatisfaite, avait rejeté la première mouture de Léonard, l’obligeant à repartir de zéro. En réalité, le peintre n’était pas d’accord avec le tarif que lui proposait ses commanditaires. Il aurait donc modifié son œuvre à la dernière minute pour complaire aux exigences d’un acheteur plus offrant. Une hypothèse qu’atteste la réflectographie infrarouge, technique qui révèle les couches sous-jacentes d’une peinture. Sous le tableau parisien se cache une composition similaire à sa réécriture londonienne. C’est pourquoi quand, une vingtaine d’années plus tard, les frères de l’Immaculée-Conception décidèrent enfin de mettre la main au portefeuille, le maître florentin en profita pour renouer avec la scène qu’il avait initialement imaginée pour eux.
Toutefois, il n’est pas entièrement certain que cette seconde version soit de lui. Entre la France et l’Angleterre, chacun prêche pour sa paroisse. « Il y a une sensation de vie et de mouvement dans notre panneau que l’on ne retrouve pas dans le tableau de Londres », affirme Vincent Delieuvin. « Ce dernier manque de relief. Le geste y semble plus mécanique. La tête de l’enfant pourrait tout aussi bien être de la main de Boltraffio, qui a travaillé dans l’atelier de Léonard. » Son de cloche opposé : « Je n’ai jamais eu de doute sur l’authenticité de notre Vierge », soutient Caroline Campbell, la directrice des Collections et de la Recherche à la National Gallery, imperturbable elle aussi, pour ne pas dire solide comme un roc.
RÉTENTION DE CHEFS-D’ŒUVRE
Comment justifier l’absence d’une icône interdite de voyage par son musée de résidence ? Voici quelques excuses avancées par les derniers musées lésées, en France.
Varier les plaisirs
En 2010, Dieter Bucchart proposait à la Pinacothèque une rétrospective Edvard Munch sans son fameux « Cri ». « Nous ne voulions pas montrer les mêmes 20 tableaux mythiques du peintre norvégien, exposés partout. Nous ne les avons même pas demandés ».
Si tu ne vas pas à Velasquez, Velasquez n’ira pas à toi.
« Les Ménines sont un monument espagnol […] et les monuments on les visite, on ne les déplace pas », dixit Guillaume Kientz, commissaire de l’exposition Diego Velasquez qui s’est tenue au Grand Palais, en 2015.
Alerte à l’émeute
Le Reina Sofia de Madrid ne s’en sépare plus depuis 1981. Si Guernica était venu à Paris pour l’exposition que lui consacrait le Musée Picasso l’an passé, le parcours n’aurait soi-disant pas pu contenir le surplus de visiteurs occasionné par ce miracle.