La rentrée artistique est marquée par une majorité d’expositions monographiques. Par manque de temps, nous ne pourrons en commenter plus que deux, pour le moment, malheureusement. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, pourtant.
Fantin-Latour mi-figue mi-raison
Un titre est le manifeste d’une pensée. Le mien (je ne dis pas qu’il est bon) suggère le flou qui enveloppe certaines œuvres de Fantin-Latour ainsi que ses intentions. Celui du musée du Luxembourg annonce deux axes qui auraient pu être mieux développés.
« À fleur de peau » évoque l’hypersensibilité du peintre, qui flirta à l’occasion avec le romantisme, et sa pratique virtuose des natures mortes. C’est ce que l’on devine au fil des salles et qui aurait mérité d’être explicité d’emblée. De même que dans « Chefs-d’œuvre de Budapest », le spectateur reçoit des pistes de réflexion que les commissaires avaient la charge de structurer. Or la scénographie se contente de mimer les contradictions qui traversent l’œuvre de Fantin-Latour sans jamais les dépasser. À un exposé binaire s’oppose une lecture dialectique, indispensable pour qui souhaite éviter les contresens, tel « À voile et à vapeur ». Sous-titre hypothétique, ce dernier évoque les paysages en bord de mer montrés dans l’avant-dernière salle de l’exposition ainsi que « la vaporisation des traits » (sic) caractéristiques de la peinture de Fantin-Latour. L’expression en soi peut aussi renvoyer à l’homosexualité de Delacroix à qui le peintre vouait une admiration sans bornes, comme en témoigne le célèbre Hommage à Delacroix (1838), qui ponctue la première galerie.
Malheureusement ou heureusement, la carrière de l’artiste ne se réduit pas à ces trois dimensions. Revenons à l’exposition, tantôt cerise, tantôt pourpre, les cimaises se cantonnent à une palette chaude. Comme quoi les contrastes ne sont pas si marqués ; les contraires, pas si éloignés. Chaque division se pense comme une blessure à panser. La photographie, par exemple, compense l’écart, l’hésitation entre le dessin et la peinture. La première salle se divise entre deux pôles : à gauche, les toiles réalistes ; à droite des productions romantiques, au sens où elles sont chargées d’une plus grande expressivité. Foin du pleinairisme, qui définit, par la négative l’esthétique du peintre. D’un côté, les natures mortes ; de l’autre, les portraits. Un peu plus loin, on comprend le lien entre les deux. Face aux études de fleurs, de feuillages, les soeurs Fantin-Latour posent dans la fleur de leur âge. Les compositions florales de leur frère ont parfois plus d’humanité que ses portraits. C’est le bouquet ! À l’inverse ses autoportraits croqués, et à croquer, regorgent de vitalité. Lui qui ne pouvait voir l’impressionnisme en peinture, représente Manet dans Un atelier aux Batignolles. Cette énième ambiguïté accuse la complexité de sa poiétique. Oyé, parfaitement, puisqu’il s’agit de remettre des points sur les « i » ici. Quant à la photographie, dans l’avant-dernière galerie, elle transcende l’alternance dessin / peinture.
On pourrait prendre Coin de table comme manifeste, comme programme de l’œuvre de Fantin-Latour. Ce chef-d’œuvre de 1872 résume à lui seul les problématiques précédemment soulevées. De nombreux dessins préparatoires permettent de suivre l’évolution de cette toile. Originellement conçue à la gloire à Baudelaire, elle s’inscrit dans une série d’hommages rendus à diverses personnalités, de Delacroix à Berlioz, en passant par Wagner et dont la plupart dégénèrent en portrait de groupe. Y figurent douze hommes (de lettres) en colère. Au centre, Émile Blémont, le rédacteur en chef d’une nouvelle revue, Coin de table, entouré de Pierre Elgar et Jean Aicard. Avec Léon Valade, Ernest d’Hervilly, Camille Pelletan, ils représente le mouvement parnassien sur la pente du déclin, tandis que Verlaine et Rimbaud, isolés à gauche, incarnent la modernité en poésie. Le couple est aussi connu pour sa rupture passionnelle. Ainsi, le tableau se présente comme un lieu d’affrontements, à cheval entre réalité et fiction ; Latour n’a pas rencontré Delacroix, par exemple. Le bouquet de fleurs à droite symbolise le poète Albert Mérard. On en revient à l’humanité de la nature morte. La genèse de cette œuvre remonte à 1864 : Fantin projette de présenter au Salon de 1865 un Repas dont le acteurs porteraient un toast à un artiste universellement reconnu. Rembrandt ou Velasquez ? Ce sera Rembrandt, puisqu’il en question plus bas…
Fantin-Latour. À fleur de peau, jusqu’au 14 février. Musée du Luxembourg, Paris
La vie inversée de Hergé
Pourquoi commencer par la fin ? Par souci d’originalité ? Par mimétisme ? Tout le monde sait que le pseudonyme Hergé vient de l’inversion des initiales de Georges Rémi.
« Tout le monde sait ». Tel est sûrement le préjugé qui taraudait les commissaires lors de la conception de cette rétrospective tant attendue. D’où la volonté accrue de se distinguer. Un objectif qui explique le sens du parcours et les efforts ostensiblement investis dans la scénographie. Si la première salle présente le dessinateur sous un jour nouveau, celui d’un collectionneur d’art moderne, la dernière revient sur ses débuts. Entre ces deux extrémités, s’enroule le fil d’une vie remplie. Des années 1970 on aboutit aux années 1920, où Hergé se lance corps perdu dans le neuvième art. Sur les cimaises, les textes cèdent la place à des reproductions géantes de ses albums. Serait-ce pour palier un manque de prêts ? Ou bien seulement pour divertir le visiteur averti ? Bien que suspect, ce remplissage, pour ne pas dire coloriage à grande échelle, a le mérite d’égayer l’espace du Grand Palais que l’on redoute parfois de parcourir tant il est chargé d’œuvres et, partant, de cartels. Autre surprise : le Capitaine Haddock passe pour le grand absent de cette exposition. Lui qui est toujours mis en avant, reste cette fois-ci dans l’ombre de Tintin, entre autres personnages. Heureusement le retrouve-t-on dans la boutique du musée, où l’on est tenté de passer autant de temps que dans les salles d’exposition. Tonnerre de Brest ! Ça « commence » (ou finit ?) mal.
Hergé, jusqu’au 15 janvier. Grand Palais, Paris
Magritte à coups de dynamite
Et non de marteau, quoique le Centre Georges Pompidou se concentre sur la relation qu’entretenait le surréaliste belge avec la philosophie. Un parti-pris novateur jusque dans la scénographie. Chaque thème est illustré d’une toile classique. Coup de cœur de la rentrée.
Magritte, la trahison des images, jusqu’au 31 décembre. Centre Georges Pompidou, Paris
Wild Wilde
Le jeu de mots est facile, je le concède volontiers. Autant que le procédé qui consiste à parsemer les salles d’exposition de citations. Heureusement la galerie centrale vaut le détour. Celle-ci abrite une série de toiles que l’écrivain critiqua dans la presse. Textes à l’appui. What would be the point, otherwise ?
Oscar Wilde, jusqu’au 15 janvier, Petit Palais, Paris.
En rang devant Rembrandt
L’exposition remplit son contrat. On sait que l’on sera serré comme des sardines. On sait que les expositions temporaires à Jacquemart-André sont plutôt classiques, même si le terme reste à définir. On sait à quoi s’attendre. C’est pourquoi le regard et le jugement restent tendres.
Rembrandt intime, jusqu’au 23 janvier. Musée Jacquemart André, Paris.
Mais aussi…
Bouchardon, jusqu’au 5 décembre. Louvre, Paris.
L’œil de Baudelaire, jusqu’au 29 janvier. Musée de la vie romantique, Paris.
Tout est art ? Ben au Musée Maillol, jusqu’au 15 janvier, Paris.
Buffet. Rétrospective, jusqu’au 26 février, au Musée d’art moderne de la Ville de Paris.
Plus jamais seul. Hervé Di Rosa et les arts modestes, jusqu’au 22 janvier. Maison rouge.
Robert Doisneau, jusqu’au 18 janvier. Museum National d’Histoire Naturelle, Paris.
Ludwig van, le mythe Beethoven, jusqu’au 29 janvier. Philharmonie, Paris
Et les doublement, voire triplement monographiques. Les bigraphiques, les trigraphiques ?
Picasso. Giacometti, jusqu’au 5 février. Musée Picasso, Paris.
Hodler, Monet, Munch, jusqu’au 22 janvier. Musée Marmottan, Paris.
Et j’en passe…
Face à ce cataclysme d’expos, l’humeur est aux néologismes.