Un Burton qui détonne
… sans cartonner. Exit les airs de cartoons ou de clowns. Burton s’inspire de faits réels sans pourtant parvenir à produire un film exceptionnel.
DésillusiONNÉE
Cela me pendait au nez. Comme une peau morte décollée par le soleil. Je pars à Nice pour ne pas travailler et me retrouve à courir les interviews, à boucler des papiers, en retard, en avance, et surtout à aller voir un film sur l’art, dont je sais pertinemment que je ne vais pouvoir m’empêcher de le chroniquer. Bien ou mal. Telle n’est pas la question.
J’ai été étonnée. Quand, orpheline de lunettes, j’ai fini par déchiffrer le nom de Tim Burton sous le titre Big Fish. Une rediffusion ? Euh non, pardon : Big Eyes. Les gros yeux. L’expression se prête à l’impression que j’ai reçue, de plein fouet, en face du Rialto. Zéro blockbuster. Seuls des films plus de quatre fois étoilés passent habituellement dans ce cinéma quartier.
Qu’a bien pu mitonner (avec un « i », oui, car le verbe mythoner – dont on devrait théoriquement doubler le « n » – n’existe pas, je suis désolée) le réalisateur des Noces Funèbres (2004) ? L’adaptation de noces funestes. Celles d’une portraitiste du dimanche à un escroc fini. Aveuglée par l’amour, Margaret (Amy Adams) appose un jour son nom d’épouse sur une de ses toiles, donnant sans le savoir à son mari l’occasion de s’approprier son travail. Pourquoi ferme-t-elle les yeux ? Parce qu’on est dans les années 1950, que les femmes ont alors encore du mal à trouver un emploi, que son sexe discréditerait la valeur de son œuvre…
Un conteur né
Le spectateur se laisse lui aussi « couillonner ». Par identification ou non. Parce que le plus grand imposteur dans l’histoire n’est autre que le réalisateur. Adieu Johnny Depp ! Le chocolatier excentrique, le chapelier fou, l’adolescent aux mains d’argent. On se croit loin du fantastique et pourtant, même sans son acteur fétiche, Tim Burton cède à la caricature. Chasser le naturel, il revient au galop, le sal…, le ballot.
Dur de se cantonner à la réalité. Titien, avouons-le, n’aurait pas autant inspiré la cinéaste, qui a choisi de traiter d’une peinture faussement naïve. Les yeux sont le miroir de l’âme. Philosophie bas de gamme. Ce qui fascine avant tout Burton, c’est la disproportion monstrueuse que leur confère l’artiste. Quant à Christoph Waltz, alias Walter Keane, il en fait des caisses (autant que la centaine que lui envoie Margaret après avoir demandé le divorce), lorsqu’il est amené à se représenter devant un jury. Son jeu se soustraie de moins en moins au grotesque. Les figurines au regard globuleux influent sur le maquillage des certains figurants. On sent que Burton résiste, mais la tentation est trop grande. Effet spécial gratuit : à travers le verrou du studio où s’est enfermée sa femme, l’iris de Keane vire à l’oranger, symbole de son accès de folie. Mauvais usage, mauvais dosage. Même en regardant le film dans son ensemble – « the big picture », comme on dit en anglais – la mise en scène ne convainc pas. Pas complètement, du moins. Autrement dit, Burton n’a-t-il pas eu les yeux plus gros que le ventre, en s’attaquant à un sujet “sérieux” ?
> Big Eyes, de Tim Burton, avec Amy Adams, Christoph Waltz, Danny Huston. Sortie le 18 mars 2015