De l’architecture à la peinture, de la peinture à l’écriture et de l’écriture au son. Compte rendu de l’exposition du musée des beaux-arts de Rouen.
Traduire une image en mots, dessiner une mélodie, cuisiner une sensation pose souvent problème. Qui dit médiation, dit lacune. Il y a, par exemple, déperdition dans le passage de la troisième à la deuxième dimension. Comment rendre le relief, la beauté d’un monument avec une palette garnie de couleurs, un pinceau et une toile, c’est-à-dire sans pierre, sans truelle ou sans ciment ? On peut toujours recourir à certains procédés propres à la peinture, pour exprimer une émotion suscitée par la contemplation d’un bâtiment, quoique il soit impossible d’obtenir exactement le même effet. Entre l’original sculpté et la copie peinte s’opère forcément un décalage. Un décalage au coeur de l’exposition du musée des beaux-arts de Rouen, où s’exposent des représentations de cathédrales, selon un axe plus thématique que chronologique. Et pourquoi ne pas l’entretenir de quelques extraits sonores ?
La naissance d’un mythe
De καθέδρα (kathédra), en grec ancien, le terme cathédrale est à l’origine un adjectif qualifiant le siège (de cathédrer, présider, en ancien français) d’un évêque, en charge d’un diocèse. Ce n’est qu’au XVIIème siècle que le mot se substantive, à savoir se transforme en nom. Ce glissement sémiologique Sylvain Amic, directeur des musées de Rouen, le rappelle devant un tableau de Paul Delaroche, L’Art gothique ou Le Moyen âge (1853). De même, l’universalité que revêt ce type de monument après avoir longtemps incarné la foi chrétienne.
quelques mots sur l’art gothique
Le romantisme gothique ici et ailleurs
Au sortir de cette introduction érudite, un mot au sujet de l’influence des romantismes allemands et anglais sur l’art français. Parmi les moteurs d’inspiration principaux, Goethe, qui allait souvent se recueillir dans la cathédrale de Strasbourg, ou Carus, qui voyait dans le motif paysager monumental un signe de fusion entre art, nature et spiritualité. À l’enthousiasme germanique répond la “nouvelle peinture romantique” promue par Constable et Turner, entre autres. C’est d’ailleurs en Normandie que s’opère la passation des théories britanniques aux artistes français, laquelle suscite une énorme campagne de restauration dans l’Hexagone.
quelques mots sur les romantiques anglais
Une campagne que soutient bien entendu l’auteur du célèbre roman Notre-Dame de Paris (à découvrir sur place : quelques esquisses de l’écrivain, empruntées à la Maison Victor Hugo, Paris) à qui l’exposition réserve, par conséquent, un sort particulier…
quelques mots sur Victor Hugo
Un point sur les arts décoratifs de l’époque, caractérisés par un motif dit “à la cathédrale”. Comble du raffinement dans les intérieurs de luxe : des fauteuils à dossiers ogivaux et des pendules en forme de clochers. En architecture, le stryge sculpté au faîte de la galerie Notre-Dame s’inscrit dans une série de “gargouiles” (parties saillantes et surtout grotesques d’un monument, à figure animale ou humaine) réalisées d’après les dessins de Viollet-le-Duc. Ce démon à la pose pensive connaît d’innombrables réinterprétations au fil des siècles, dont la célèbre toile de Marc Chagall, accrochée à mi-parcours de l’exposition.
Impressions de cathédrales
On traverse la cour du musée. L’exposition se poursuit dans une salle consacrée à quelques paysages impressionnistes. Chef de fil de l’École de Barbizon, Camille Corot introduit la cathédrale dans ses représentations panoramiques. Ce sont toutefois les séries de Claude Monet (cathédrales de Rouen) et de Johan Barthold Jongkind (Notre-Dame vue du Pont Neuf) qui marquent l’attention du spectateur.
quelques mots sur les Impressionnistes
À l’affiche de plusieurs expositions, parmi lesquelles “Mapplethorpe-Rodin”, au musée Rodin de Paris, Auguste Rodin s’est lui aussi frayé un chemin jusqu’à Rouen. Au milieu du cabinet qui lui est dédié trône une plâtre figurant deux mains droites séparées par une espèce d’ogive. D’où le nom de cette œuvre emblématique, La Cathédrale (1908).
quelques mots sur Rodin
La cathédrale moderne du XXème siècle
Loin des premières salles bleu-roi, chocolat et vertes, les murs blanchissent comme au sortir d’un tunnel obscurci par de lointains souvenirs. Ainsi l’on entre dans l’ère de la modernité. Passée l’évocation du symbolisme, c’est-à-dire de Gustave Moreau, Odilon Redon ou Carlos Schwarbe, de l’avant-garde française incarnée par Henri Matisse ou Albert Marquet, tous deux fascinés par les arcs brisés gothiques, de la Premierre Guerre Mondiale, marquée par le bombardemant de la cathédrale de Reims, le 19 septembre 1914, l’exposition confirme la postérité du mythe de la cathédrale, vouée à se recycler dans les siècles à venir. Une conclusion qui laisse rêveur,
“Cathédrales 1789-1914 : un mythe morderne”, du 12 avril au 31 août, au musée des beaux-arts de Rouen