EXPO-Houellebecq

Houellebecq bon et bien vivant

Rendez-vous au Monsieur Bleu, le restaurant du Palais de Tokyo, où deux personnalités hautes en couleurs ont accepté de s’adresser à une infime fraction de la presse, Messieurs Michel Houellebecq et Jean de Loisy. 

Jean de Loisy traverse la Mezzanine – c’est ainsi que l’on appelle le premier étage du très séduisant Monsieur Bleu – avec l’énergie qu’on lui connaît. “Vous allez bien ?”, lance-t-il après avoir embrassé une poignée de journalistes. “Michel ne va pas tarder”. Michel, c’est Michel Houellebecq, l’auteur de mille et un poèmes, de La Possibilité d’une île, adapté à l’écran en 2008, de La Carte et le Territoire, Prix Goncourt 2010 ; cet être mystérieux que l’on perçoit soit comme un provocateur-né, soit comme l’écrivain français le plus connu de la planète. Dire que cet aimant à controverses verse également dans la photographie ! Sa première exposition ”Before Landing” date de 2014. C’était au Pavillon Carré de Baudoin. Cette année, Houellebecq récidive à la demande de son ami de toujours, Jean de Loisy. Népotisme ? Clientélisme ? Favoritisme ? On peut en dire autant des privilégiés venus écouter la présentation de ce duo inattendu. Alors motus !

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Aux happy few présents Jean de Loisy présente Happy Sapiens, la nouvelle saison du Palais de Tokyo, laquelle regroupe des artistes “tant émergents qu’immergés”. Barges et/ou en marge, en somme. Tous ont commun leur optimiste ainsi qu’un intérêt, sinon un amour, marqué pour les animaux. Marguerite Humeau ressuscite des sons émis par des espèces préhistoriques. Dans une des vidéos de Mila Rottenberg, un homme éternue des lapins. Ami des bêtes, David Ryan “chasse des trèfles à quatre feuilles”. Enfin, dans “Rester vivant”, titre de son exposition, Michel Houellebecq rend hommage à feu son chien, Clément.

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Quand on parle du loup ! Le voilà qui déboule dans la pièce, un verre à la main. Il prend place sur la banquette du fond et une pose un tantinet nonchalante, tandis que son voisin continue d’animer la galerie. Clope au bec, le bec dans autre chose que de l’eau, l’humeur n’a pas l’air à plaisanterie. Et pourtant, son regard vogue vers la fenêtre sans le moindre vague à l’âme. Le public, qui ne demande qu’à boire ses paroles, est enfin servi. “Salle 2… abstraite… Salle 7…. tourisme… Salle 14… femmes dénudées… Salle 15 autobiographique….” Et entre les deux ? Ces bribes ne suffisent pas. On reprend depuis le début.

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Les serveurs veillent à la plénitude des verres. Le maître de cérémonie coupe court au discours de son ami. Soi-disant par courtoisie. “Vous avez compris ce qu’a dit Michel” ?, a loisir de répéter de Loisy. Si la description du parcours demeure quelque peu floue, il est vrai, l’utilité des cadres selon Houellebecq ne manque pas de clarté. “Ils emprisonnent l’image dans un monde à part. C’est d’ailleurs paradoxal que j’aie oublié d’en doter mes photos”, marmonne l’écrivain qui, contrairement aux apparences, sait parfaitement où il va. Peu importe si on l’interrompt à l’occasion. Revenir sur son plan, c’est déjà lui donner satisfaction. Pourvu que chaque visiteur refasse un deuxième tour de l’exposition, une fois arrivé à son terme. “Si je parviens à susciter cette envie chez au moins une personne par jour, c’est gagné”.

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On reprend donc. La salle 2 abrite des outils de travail, carnets, stylos, cameras, et… la photo d’un bouddha. “À une époque, j’aimais m’arrêter pour méditer. Généralement, quand on me met dans un endroit, je ne bouge pas”. Un peu plus loin, des images liées au tourisme étonneront par leur grand format. Certaines font cinq mètres de large. “Je suis mauvais en Photoshop. Je ne retouche pas ou peu mes photos. Il faut regarder sans juger. Le meilleur moyen de critiquer est, en effet, de décrire la réalité”. Quant à la deuxième partie du parcours (eh oui, il y avait une première partie !), celle-ci se veut nettement plus intime. Les sections 12 et 14 sont respectivement consacrées à Robert Combas et aux femmes. Le peintre français apprécie tellement Houellebecq-le poète, qu’il l’a accueilli dans une antre à laquelle même sa femme n’a pas accès. C’est sur chaque recoin de cette antre que s’est fixé l’objectif de l’écrivain. À côté des clichés féminins, se verront projetés des extraits de “La Rivière”, court-métrage de Houellebecq diffusé en 2001 sur Canal + . L’auteur-réalisateur justifie cet érotisme, que Jean de Loisy qualifie à juste titre de “saphique”, par les moindres qualités plastiques du corps masculin. “Les hommes sont plus durs à photographier et ne m’intéressent pas”. La scénographie de cet espace a été confié à Maurice Renoma, dont l’heure de gloire remonte aux années 1980″. Je ne prends pas des freaks purs et simples”, s’empresse d’ajouter Houellebecq, sentant l’ignorance du public résonner dans le silence ambiant.

Cette double invitation soulève une question capitale : qui est le véritable commissaire de “Rester vivant” ? Officiellement, “il ne s’agit pas d’une exposition “sur” Houellebecq mais d’une exposition “de” Houellebecq”. Je dirai même plus de Houellebecq par Houellebecq ! L’accroche du communiqué de presse laisse entendre que l’écrivain s’est contenté de fédérer ses artistes préférés autour d’un thème précis, alors que ce sont Karène et Jean de Loisy qui ont incité leur ami proche à exposer son œuvre photographique au sein du Palais de Tokyo. Pour autant, ces derniers avouent n’avoir pris part ni à la sélection ni à l’agencement des pièces présentées. “Tout le mérite revient à Michel”, sujet et objet de ce “plan” dont les subtilités et transitions nous échappent encore. Dans ce cas, pourquoi Michel ? “C’est une personnalité polyvalente, un auteur imprégné par le monde des images”. Autrement dit, son intervention prolonge la série de cartes blanches attribuées par le Palais de Tokyo à des écrivains, parmi lesquels Raymond Roussel (2013), John Giorno (2015), et Jean-Michel Alberola (2016). Quant aux chouchous de Houellebecq, d’où viennent-ils ? Pourquoi Renaud Marchand ? “Ses sculptures correspondent à mes photos”. Et Combas ? “De profondes affinités nous lient”. De son côté, Renoma “s’intéressait aux tissus ; et je voulais que l’on ait envie de toucher la salle érotique”.  Iggy Pop, lui, “a fait un disque inspiré de la “Possibilité d’une île”".

Son nom favorise l’évocation de l’avant-dernière salle, hommage à l’amour inconditionnel, véritable, absolu, celui que l’on porte aux animaux et que Houellebecq vouait à son chien, Clément. Jean de Loisy profite de ce moment pour projeter “en exclusivité” le diaporama que l’écrivain a dédié à son feu son fidèle compagnon. En toile de fond, une chanson d’Iggy Pop passe en boucle, justement. “On pourrait arrêter ?  Cela m’émeut trop”, demande Houellebecq avant de conclure au bord des larmes. “Ce type d’amour requiert de la vaillance”. “Or, il faut de la vaillance pour “Rester vivant”", rebondit Jean de Loisy, lequel ne perd pas une occasion de remettre la discussion sur les rails.

Houellebecq-4 À ce stade, il convenait sans aucun doute d’expliquer le titre. Non, Johnny n’est pas à l’origine de cette formule, ironise Jean de Loisy.  Paru en 1991 chez La Différence, et non 2014, “Rester vivant” est l’un des premiers essais signés Houellebecq. Rendre à Houellebecq ce qui est à Houellebecq n’éclaire pas la signification dudit ouvrage. S’agit-il de laisser une trace ? L’exposition en tout cas invite à l’objectivation par le travail – concept hegelien. Le travail de l’objectif, en l’occurrence. “Je ne sais ce qui restera”… Et Houellebecq d’évoquer à plusieurs reprises ses “successeurs”, quels qu’ils soient. Plutôt que s’interroger sur leur identité, on se demande si l’écrivain n’a pas des problèmes de santé, au vu de sa consommation attestée de substances plus ou moins douteuses. Le mystère ne plane pas bien longtemps.

Jean de Loisy clôt la conversation sur une annonce. Dans le cadre de Manifesta, la Biennale européenne d’art contemporain qui aura lieu à Zurich, cette année, Michel Houellebecq a prévu d’exposer dix IRMs personnels ; et leur  facture, afin de montrer que la santé a malheureusement un prix. Cet ensemble de selfies médicaux s’est vu intitulé “Is Michel Houellebecq okay ?” Attention ! Spoiler alert ! “Oui, je vais bien. Je n’aurais pas dû le dire car il faudrait que les gens, après avoir vu mes œuvres, aillent consulter un médecin pour vérifier que je vais bien”. “Fuck DEATH, non?”, renchérit Jean de Loisy.

Et si l’on retenait ce cri du cœur, comme mot de la fin ? Il est 20h. Un barrage d’attachées de presse se dresse progressivement devant la star du jour. Dans l’incapacité de poser ne serait-ce que deux ou trois questions complémentaires, la plupart des journalistes restent sur leur faim. Quel soulagement de ne pas en faire partie…

Rester vivant, du 23 juin au 11 septembre. Palais de Tokyo, Paris