Aujourd’hui s’ouvre à Orsay, une exposition dédiée à Frédéric Bazille, impressionniste fauché en pleine jeunesse par la guerre franco-prussienne.
Il est mort à 28 ans. Mon âge. Difficile de ne pas se projeter, même inconsciemment. Si cette précocité force a priori la tendresse, Frédéric Bazille ne sort que rarement de l’ombre de ses contemporains, exposés en vis à vis. Avis à ceux que l’objectivation hégelienne taraude : ce destin pré-impressionniste donne encore plus envie de laisser une trace, et surtout de parfaire celle-ci avant de quitter cette terre.
Le parcours, thématique et chronologique, confronte les toiles de Bazille à celles de ses pairs, parmi lesquels Renoir et Monet, avec qui il partagea un atelier dans le 6ème arrondissement de Paris. Passées les premières salles nourries de cette profonde amitié, le spectateur est voué à s’arrêter devant un portrait qui fut longtemps considéré comme un autoportrait. Cette ténébreuse silhouette brossée sur un paysage normand, soulève une question : comment se représenter soi-même de profil ? L’autoportrait en question vient d’être attribué à Claude Monet, qui l’aurait exécuté, non au Saint-Sauveur comme l’indiquent certains titres sur internet, mais à Saint-Siméon. D’ailleurs, s’agit-il vraiment de Frédéric Bazille ? Pour peu qu’un modèle masculin de cette époque porte une barbe, il se voit immédiatement associé à Bazille, le hipster du XIXe siècle. La composition qui ponctue la section précédente contrarie cette intuition, au vu de la pilosité des personnages représentés. Ces réflexions me sont parvenues de la bouche d’un spécialiste qui sillonnait l’exposition en en soulignant haut et fort les défauts. Plus désagréable tu meurs, comme on dit.
Comme Bazille, à 28 ans. Autant dire que l’impressionniste en herbe n’a pas véritablement eu le temps de développer son style. C’est le sentiment qui domine au sortir du parcours, bien que celui-ci soit bien construit. Difficile, dans ces conditions, d’en dresser le profil artistique. La Normandie de Monet fait de l’ombre à ses scènes forestières. Sa palette se révèle, à peu de choses près, moins nuancée que celle de Renoir. Les bouquets de Fantin-Latour sont plus vivants que nature. Au milieu de ses maîtres, Bazille passe presque inaperçu. Presque. Le « nu étendu » qui marque ses débuts a beau s’inspirer d’« Olympia », il présente une technique et une sensualité à part. Ceci n’est, bien sûr, que mon humble opinion. Je regrette même que la boutique vende l’icône de Manet plutôt que la déesse bazillienne en carte postale. Là où le jeune peintre se distingue vraiment, c’est dans la représentation des lumineux remparts d’Aigues-Mortes. Voilà le filon qu’il aurait pu exploiter s’il avait vécu plus longtemps. Quel soulagement ! En fin de compte, sur lui, « le soleil se lève aussi ».
> Frédéric Bazille (1841-1870). La jeunesse impressionniste, jusqu’au 5 mars. Musée d’Orsay, Paris.