Après Turner, l’Hôtel de Caumont, à Aix, s’attaque à un autre monstre culturel, de toute beauté cette fois, l’étoile d’Hollywood qui s’est éteinte en 1962. J’ai nommé Marilyn Monroe.
J’ai grandi bercée par la voix de Marilyn. Foin de son nom ! Elle fait pratiquement partie de la famille. Mon grand-père est le dernier à l’avoir interviewée, en 1960. Cet exploit, parmi tant d’autres, faillit étouffer ma vocation de journaliste. Qui suis-je, pensais-je alors, pour reprendre le flambeau ? Un flambeau que personne ne tenait particulièrement à me passer, « par dessus le marché » ? Cette expression revenait souvent dans la bouche de mon aïeul. Une tranche épaisse de son entretien fut retranscrite dans Marie Claire, dont il fut le patron. L’extrait qui revient le plus souvent sur les ondes intéresse Channel. - What do you wear to bed ? – Just a few drops of N°5. Je devais l’entendre, sans le savoir, au détour d’une cimaise. Or, j’aurais bien voulu me préparer psychologiquement à appréhender le rire de Georges. C’est ainsi que nous devions l’appeler. Ni grand-père, ni papy, ou pépé, mais Georges.
Parce qu’elle traite de la relation que Marilyn entretenait avec la photographie et ses acteurs, l’exposition s’annonçait plus visuelle que sonore. Présente dans chaque salle, sa voix sert pourtant de fil conducteur. Bien sûr, « la star s’est construite par l’image ». Tel est d’ailleurs le sens premier du mot icône (d’εἰκών, εἰκόνος, en grec ancien), image. Les commissaires auraient peut-être pu rappeler l’étymologie du terme, quelque part sur un mur. Histoire de renforcer leur parti-pris. Pas de quoi en faire une histoire, en tout cas. La bande son ajoute au charme d’un parcours étonnamment bien construit. Si la perspective d’une série de portraits de Marilyn laissait craindre l’indigestion ou l’ennui, la sensualité qui se dégage de chaque cliché est indéniable.
L’amour ne rend pas sourd, mais prétendument aveugle. Autrement dit, à ce stade, la lecture de cet article vous paraît sûrement superflue, comme si mon attachement à Marilyn devait fausser mon appréciation de l’exposition aixoise et, par là-même, discréditer mon propos. Il ne me reste plus qu’à fermer les yeux (oui, je peux taper sur mon clavier, les paupières baissées) et laisser ma mémoire auditive guider mes doigts. La belle avait juste ce qu’il faut de décibels pour séduire n’importe quelle esgourde. Elle qu’on traitait de gourde, savait parfaitement l’effet qu’elle produisait sur son public.
Dans la toute première salle, un extrait de la chanson I Wanna Be Loved by You, qui a donné son nom à l’exposition, passe en boucle. La visite se serait arrêtée là, si la commissaire n’était pas revenue chercher les journalistes figés devant l’écran géant. La grande fierté du scénographe Hubert le Gall (encore et toujours lui !) tient à la frise qui s’étire sur les quatre murs suivants. Le plus dur aura été d’y incruster des documents d’archives, telle cette interview de la secrétaire de Marilyn. La troisième étape est marquée par la répétition d’un même motif, l’archétype de la pin-up, sur un papier peint vif qui préfigure l’intervention de Warhol en fin de parcours. En toile de fond, deux morceaux de swing participent à une projection contextuelle. Le silence qui semble tout à coup régner dans la salle 4 surprend. Cependant, le bruit d’une diapositive en engendrant une autre ne tarde pas à se faire entendre. Ce tic-tic inattendu provient d’une caméra géante, plantée au milieu de la pièce, lentille vers le plafond. C’est dans cette lentille que défilent les clichés de Milton Greene. Chaque cimaise est dédiée à un photographe différent. Les uns sont devenus célèbres pour avoir immortalisé Marilyn. Les autres l’étaient déjà et méritaient seulement de braquer leur objectif sur elle.
Au sommet de sa gloire, Bert Stern n’avait rien à perdre en sollicitant la star hollywoodienne, au nom de Vogue. Ce sont les clichés de cette dernière séance qui sont exposés au second niveau. Une séance en deux temps, puisque le magazine de mode rejeta la première pellicule où Marilyn figurait dans son plus simple appareil. Le co-commissaire Olivier Lorquin en dit plus dans le film présenté au faîte de l’escalier principal. Dans les salles, aucun bruitage ne vient court-circuiter son discours. Ce n’est qu’à hauteur de la robe noire imposée à l’actrice dans le cadre d’un second shooting que j’ai cru défaillir. Cet éclat de rires, je l’aurais reconnu entre mille. C’est celui qui résonnait dans le salon quand on parlait littérature ; celui qui emplissait la cuisine quand je brûlais un gâteau ; celui qui ponctuait les accolades fondatrices des Feux de l’amour, sa “sieste intellectuelle”. C’était lui ! C’était Georges ! Jojo, quand l’humeur filiale était à la provocation. Un torrent de larmes s’échappa de mes yeux. La voix de George me saisit à la gorge. J’étais incapable d’émettre aucun son.
La mention « Droits réservés » attira soudain mon regard. Je me souviens du jour où mon frère, dont la curiosité venait de s’éveiller, résolut d’écouter la conversation que Georges engagea avec Marilyn peu avant sa mort. Il resta assis dans le salon pendant des heures. De même, mon intérêt pour cet enregistrement ne s’est manifesté que tardivement. La proximité rend parfois plus sourd qu’aveugle. J’étais atteinte d’une sorte de presbytie affective. Du côté de ma mère, la chasse était ouverte. Je l’ai vu hésiter à prêter nos cassettes audio, entendu se plaindre de fuites sur le net (cf. plus bas), regretter d’avoir fait confiance à untel, appeler des maisons d’édition pour revendiquer des crédits oubliés… Elle était devenue, à mes yeux, la justicière de son père. C’est pourquoi ce jour-là j’ai voulu la relayer (il était temps !) en vérifiant, auprès de la commissaire Sylvie Lécallier, si je n’avais pas des hallucinations auditives, s’il s’agissait bien de l’interview georgesque, et si elle avait contacté la responsable de cet héritage familial. Confuse de son oubli, mon interlocutrice s’est immédiatement proposé d’indiquer le nom de mon aîné dans la légende adéquate. En revanche, j’apprendrais plus tard que les trois minutes sélectionnées appartiennent désormais à Channel. My mistake.
ALERTE AU PIRATAGE : CET ENREGISTREMENT N’A RIEN À FAIRE SUR LE NET !
Mieux vaut prévenir que guérir ? Non. Moralité : ne pas hésiter à enregistrer, quand j’y suis autorisée, les personnalités que j’interviewe. On ne sait jamais à qui ces traces audio pourraient servir…
> Marilyn I Wanna Be Loved By You, jusqu’au 1er mai. Caumont Centre d’art, Aix-en-Provence.