SOCIO-Instagram

Instragram, support et/ou vitrine de l’art  ?

L’application, lancée en 2010, serait-elle le reflet de ce que le marché de l’art a à proposer de nos jours, ou bien une fabrique d’artistes d’un tout nouveau calibre ?

Am stram gram pic et pic et colégram… Instagram. #expo #art #musee #painting… Quel que soit le mot-clé tapé, le résultat de la recherche reste incertain. L’aléatoire a quelque charme pourtant, surtout dans le cadre d’un laboratoire. C’est ainsi que l’on pourrait voir Instagram dans le monde de l’art. L’application, qui permet à l’origine de partager photos et vidéos, est devenue, en quelques années, un support esthétique à part entière, faisant de ses utilisateurs des artistes en puissance. De là de nouveaux enjeux éthiques, qu’il s’agirait peut-être de redéfinir…

Instagram, vitrine de l’art par défaut

Conçue pour accueillir photos et vidéos, l’application semblait prédestinée, par sa nature même, à rejoindre le huitième art. Pourtant, galeries, artistes, et musées ont tardé à l’utiliser. D’où la disparité des œuvres postées, à savoir exposées en ligne.

Sur ses 550 millions d’utilisateurs (dernières données en date), combien d’artistes ou graines d’artiste compte Instagram ? Telle est la question, dont le service de communication n’a pas la réponse. Comment ? Il n’existe pas de logiciel interne capable de recenser certains profils ? Non.

Partons cependant du principe que les musées ont tous, ou presque, fini par se créer un compte, devenant ainsi l’objet d’une mise en abyme. Des galeries dans une galerie sans fond, avec un potentiel de visibilité croissant. Le Louvre, Orsay, Perrotin… plus personne n’échappe à la griffe, aux griffes d’Instagram, qui bourre et bourre et rata… tine les réseaux sociaux concurrents… Plus besoin de se connecter à Facebook ou Twitter. Instagram fait d’une pierre un, deux, voire trois ou quatre coups. L’option « Publier », qui survient à la fin du processus d’édition, propose de partager n’importe quelle image sur d’autres plateformes virtuelles (Tumblr, Flickr), à des fins personnelles ou professionnelles.

Qui se cache derrière les posts de @gagosiangallery, @simonleegallery… ? Le marchand d’art en personne ? Son stagiaire ou, selon ses ressources, un community manager employé dans le seul but de promouvoir une programmation en cours et à venir ? Dans le cadre de cette dernière fonction, Instagram apparaît, certes, comme un précieux outil de communication. De là les opérations dernièrement lancées par les musées, parmi lesquelles #emptylouvre (ouverture de des portes rien que pour les Instagrammers) ou #MuseumInstaSwap (après avoir été nommés “les 10 meilleurs musées de Londres sur Instagram” par la rédaction du Londonist, le British Museum, le Musée du Design, le V&A, le Musée des Sciences, la Wellcome Collection, le Musée d’Histoire Naturelle, le Musée et Jardins Hornimans, l’Imperial War Museums, le Musée des Transports de Londres, et le Royal Museums de Greenwich se sont engagés, le temps d’un weekend, à publier deux par deux, sous forme de montages, des photos de leurs collections). Entre les # (hashtags) et les @ (arobases), on s’y perd. Les profils d’une même entité se démultiplient à l’infini. Doublons, triplons la mise… Dans cette culture de la surenchère, propre à notre chère et pas tendre société de surconsommation, qui dit mieux ?

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Certains artistes, qui utilisent aussi Instagram comme galerie, possèdent différents comptes. Tel est le cas d’Anish Kapoor. Sur @anish.kapoor, le plasticien indo-britannique reporte les photos de ses dernières œuvres avec pour légende unique « #anishkapoor #art #contemporaryart », laissant le soin à ses abonnés d’exprimer, en dessous, leur opinion. Les clichés postés sur son @dirty_corner (alias Le Vagin de la Reine, dans sa forme sculpturale, trompe en acier de 60 mètres, plantée au cœur la Fabbrica del vapor à Milan, en 2011) apparaissent, quant à eux, comme des œuvres à part entière, sans titre. Le nom de cet espace virtuel évoque moins une poubelle où l’artiste se débarrasserait de ses ratés, que la matérialité d’une salle d’exposition tenue par quatre murs, un sol, et un plafond. En ce sens, le « coin sale », ou sale coin, de Kapoor doit s’appréhender comme une pseudo-galerie, réservée à des photographies de nature expérimentale. D’ailleurs, ces photos sont-elles qualifiées d’œuvres en raison de leur qualité plastique, ou bien parce qu’elles sont signées d’un artiste de renommée internationale ?

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Un nouveau matériau à exposer

Si les clichés de stars rayonnant dans la profession ont plus de chance d’être estampillés chefs-d’œuvre, Instagram se veut une application user-friendly, au sens où elle doit rendre, par ses fonctionnalités, l’art de la photographie accessible à tout un chacun.

L’application puise sa force dans un éventail de filtres, qui donnent à l’utilisateur lambda l’impression de maîtriser la photo. Photographiez une bouteille d’eau sans intérêt, activez l’effet sépia, et le tour est joué ! En quête d’une reconnaissance complète, d’aucuns se voient alors contraints de signaler la beauté « naturelle » de leur clichés par la mention #sansfiltre / #nofilter. Rendons à ces as, ce qui est à ces as. Tout le mérite reviendrait à leur sens inné du cadrage, et non à de vulgaires artifices. C’est de bonne guerre, quoique l’art en général regorge de techniques, de styles différents. Picasso a traversé une phase bleue, avant de voir la vie en rose. Si les filtres se déclinent comme autant de couleurs sur la palette d’un peintre, Instagram se veut une pépinière d’artistes potentiellement dignes d’être exposés.

Pourquoi pas ? Cette année, l’application a franchi un cap et proposé à 25 instagrammeurs – orthographe à la française, pour changer – d’exposer leur vision de Paris. Où ? À la galerie Sparts, dans le 6ème arrondissement. Quand ? C’était du 1er au 4 juillet. Parmi les talents sélectionnés se trouvait Lucille Clerc, auteur d’un des dessins les plus relayés après l’attentat contre Charlie Hebdo. Comment distinguer les bons des mauvais Instartistes ? Qui juge de leur talent ?

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Du like à l’arnaque

Instagram démocratise autant la pratique que la critique de la photo. L’essor des réseaux sociaux s’assortit de la culture du « like ». Tout le monde peut donner son avis, à tout à moment, au vu de tous. Un pouce vers le haut. Un pouce vers le bas (pollice verso, en latin), sur Facebook. C’est par ce geste que les empereurs ordonnaient la mise à mort d’un gladiateur vaincu. Un cœur, sur Instagram. Les symboles standardisent l’opinion. Oui. Non. On enchaîne. En ligne, la note est synonyme de cote. Plus un compte a d’abonnés, plus il a de chance, ainsi que la personne qui l’a crée, de devenir célèbre. De même, plus une photo reçoit de commentaires, de préférence positifs, plus elle circule sur la toile, avant d’être accrochée, comble du succès, telle une toile, dans une galerie. Si tous les abonnés – moi y compris – sont des artistes et des critiques de plus ou moins bas étage, Instagram devient un collectif, une communauté dont les membres sont susceptibles d’être plagiés.

En tant que support d’une expression qu’on est libre de qualifier d’artistique ou non, Instagram subit les mêmes dérives que les arts, qu’il s’agisse de la littérature, de la musique, ou de la peinture. En mai 2015, un certain Richard Prince a sélectionné 37 photos sur Instagram et opéré autant de captures d’écran afin de les revendre ensuite à la FRIEZE Art Fair de New York. L’un de ses “chefs-d’œuvre”, inspiré / emprunté à Doe Deere (@doedeere), a été vendu à non moins de 90 000 dollars. Une belle somme dont l’Instagrammeuse ne verra jamais la couleur. Vert. De rage. Celle-ci a d’ailleurs notifié à ses 328 000 followers qu’elle n’avait jamais donné son feu, vert (encore !), pour que Mr. Prince lui “vole” son cliché (le larcin n’en serait plus un avec son approbation). Ultime pied de nez : le cyber-faussaire a intitulé sa dernière exposition « Original ». En somme, Cet incident accuse un vide juridique à l’endroit des Instartistes. 

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