… au sens propre et figuré. C’est l’un des cartels de sa dernière exposition, qui le suggère, plus ou moins subtilement…
Du latin prostituo, le verbe prostituer signifie avant tout se mettre en avant. Or, n’est-ce pas précisément ce que fait le musée d’Orsay ? Depuis quelques années, l’institution impressionniste verse dans des thèmes de plus en plus provocateurs, semble-t-il. Rien de choquant dans « Degas et le nu », la nudité traversant l’histoire de l’art. Le véritable tournant s’opère, aux confins du scandale, avec « Masculin / Masculin ». Quant à « Sade. Attaquer le Soleil », ainsi pourrait-on résumer l’audace : prenez un auteur aux mœurs légères, empruntez-lui quelques citations, ajoutez-y une poignée de tableaux en guise d’illustrations, mélangez le tout et vous obtenez une polémique. À ce rythme – crescendo –, on pouvait s’attendre à ce que la prochaine exposition « Splendeurs et misères. Images de la prostitution, 1850-1910 » puise sa source dans l’ancienne gare parisienne. À tort. L’initiative vient du Van Gogh Museum, sa seconde étape. Frappé par l’acquisition d’une toile licencieuse, l’un des conservateurs du musée néerlandais s’est tourné vers Guy Cogeval, qui n’a su repousser les avances d’un ancien partenaire (« Millet / Van Gogh », 1998). Ainsi est né le projet.
Henri de Toulouse-Lautrec, Conquête de passage, 1896
Si la prostitution est une industrie légale aux Pays-Bas, elle existe en France sans être réglementée. Il aura fallu attendre 1946 pour que cette dernière exige, via la loi Marthe Richard, la fermeture des maisons closes ! Au vu de leur histoire, les deux pays étaient donc les mieux placés pour aborder le sujet. Au soupçon de provocation, la conservatrice du Van Gogh Museum d’Amsterdam, Nienke Bakker, rétorque : « Cette exposition se concentre exclusivement sur l’art français du XIXème siècle ». Le contexte politique s’édulcore au fil des toiles. Et le Red Light District ? Et les putes claquemurées dans des vitrines, que la ville d’Amsterdam rachète actuellement afin de limiter « le trafic d’êtres humains » ? Tous ces clichés, le spectateur est invité à les chasser de son esprit, afin de pouvoir croquer le fruit de recherches scientifiques (sur une autre époque) à pleines dents. « Nous adoptons la posture d’historiens de l’art. Nous avons choisi ce thème parce qu’il est omniprésent en peinture et que personne ne lui avait consacré d’exposition auparavant. Il y avait un vide à combler ».
Vincent Van Gogh, Tête d’une prostituée, 1885
Un point pour la Hollande et son sérieux (pour ne pas dire alibi) ! En attendant de voir quelle scénographie proposera le musée Van Gogh début 2016, on ne peut s’empêcher de lire dans l’approche théâtrale du musée d’Orsay une forme d’opportunisme. Qui signe la mise en scène de « Splendeurs et misères… » ? Robert Carson, encore et toujours lui ! On reconnaît la dominante rouge qui sévit depuis « L’Impressionnisme et la Mode », en 2013 ; les chaises or et bordeaux imaginées à la même occasion. Le canapé en velours circulaire qui trône à mi-parcours renferme quelques documents d’archives. Des battants de portes ont été creusés dans les cimaises, non pour évoquer l’atmosphère d’un saloon américain, loin de là, mais pour recréer l’intimité d’une maison close. D’épaisses tentures indiquent enfin l’entrée et la sortie de deux salles « interdites aux moins de 18 ans », dont on interroge l’utilité avant même d’y pénétrer. « Elles permettent de contextualiser », poursuit Nienke Bakker. Contextualiser quoi ? L’essor de la photographie ou le simple fait que Paris grouillait de péripatéticiennes ? Pour la plupart anonymes, les clichés présentés ne révèlent aucune qualité plastique. N’est-ce pas gênant dans le cadre d’un projet ouvertement qualifié de « scientifique » ? Le risque n’est-il pas qu’un public moins aguerri, s’il l’apprend (par la presse), ne se rende à l’exposition que pour se rincer l’œil ? Sûrement, mais le but n’est-il pas d’attirer le plus de monde possible ?
Au-delà de cette contextualisation forcée, l’exposition dévoile une vraie cohérence. « Le thème n’a repoussé aucun de nos collaborateurs », affirme Nienke Bakker. « Au contraire, tous voyaient l’initiative d’un bon œil ». Pas de résistance en termes des prêts, donc. Parmi les plus prestigieux, on compte un Toulouse-Lautrec venu tout droit de l’Art Institute de Chicago. Quand tout à coup, on tombe nez à nez avec Olympia, Rolla, la Femme piquée par un serpent d’Auguste Clésinger, et la Fille aux joncs d’Ernest Hébert, autant de chefs-d’œuvres conservés à Orsay. À ceux qui déploreraient l’effet « recyclage », on répond que cette sélection tient debout, sur un trottoir d’adresse. Les artistes n’avaient pas besoin de fréquenter les bordels pour que leurs modèles soient pris pour des putains. Ce renversement de points de vue non seulement trouve sa place dans le propos de l’exposition, mais contribue également à l’enrichir. Le musée d’Orsay a beau se vendre (seconde acception du verbe prostituere), cette fois-ci il se vend particulièrement bien.
À LIRE AUSSI : Les Prostituées, onze nouvelles, de Guy de Maupassant, Gallimard – Folio Classique, 288 p, 5,88 €. Cette publication fait ouvertement écho à l’exposition.