EXPO-Jerusalem

Jérusalem, je t’aime

Catholique, non pratiquante, j’ai toujours souffert de n’avoir pu m’inscrire au catéchisme. De là de grosses lacunes face à certains tableaux, notamment de la Renaissance. Une foi certaine m’habite, néanmoins. Et si elle ne se loge pas dans une divinité, LA divinité, elle se traduit du reste par un optimisme moteur, une énergie à laquelle je me raccroche, comme à un rocher, en cas de tempête. Et Dieu sait (encore lui !) que la vie peut se montrer houleuse. Ma foi à moi, confine parfois à la naïveté tant je crois en la nature humaine. Sans me déclarer humaniste. Je réserve ce titre aux pointures. Au vu de ma spécialisation en art, ma curiosité pour la « chose » religieuse a fini par virer au complexe. J’aurais pu, dû lire la Bible, les testaments, le apocryphes d’untel ou d’untel, il est vrai, mais le manque de temps… mais la honte… mais la flemme… Foi en l’autre, et non en moi ? J’apprends vite pourtant, non ? Dixit mes professeurs. 

IMG_4607Praying through boarding

C’est exactement ce qu’il me manquait, un professeur, un guide, capable de me prêcher sinon la, du moins une bonne parole. Ce guide, il aura fallu que j’aille jusqu’à Jérusalem pour le trouver. À moins que ce ne soit lui qui m’ait trouvée ? Dans tous les cas, ce qui doit arriver, arrive. Point. Voilà ma devise. Sans dériver. En quatre jours, j’ai l’impression d’avoir rattrapé des siècles d’ignorance. Sans exagérer, bien sûr. Il suffisait de rallumer la flamme, pour éteindre la flemme. Ce qu’il a fait, entre autres miracles. Ainsi, je n’ai peut-être pas été appelée par Dieu en Israël, mais j’y aurais au moins rencontré un grand pédagogue. Béni soit Beny, mon dieu sur terre !

IMG_4784Suivez le guide ! (Cité de David)

C’est mon δαίμων qui m’a engagé à partir, ou plutôt empêché de rester. En effet, chez Socrate, cette instance est moins protreptique (qui pousse à faire quelque chose ; de προ, en avant ; τρεπω, tourner) qu’atreptique (qui détourne, comme l’indique le préfixe privatif, « a »). Son caractère dissuasif lui confère le même rôle que cette petite voix intérieure que l’on nomme conscience. Ainsi le libre-arbitre s’est substitué aux oracles dans l’Antiquité. C’est quand même dément que ce concept ait été traduit par le terme de démon, en français, alors que le diable (de διαβάλλω, diviser, en grec) est celui-là même qui, par la tentation, déstabilise. À l’inverse, le daïmon socratique permet de rester sur une ligne droite, de ne jamais dévier du droit chemin. Tout ce laïus pour expliquer qu’avant de m’en remettre à un expert, j’ai décidé, sous aucune influence extérieure, de m’envoler pour Israël. Excellente résolution.

IMG_4852Musée d’Israël

Je pourrais raconter les premier et deuxième jours de mon périple car mes articles à paraître sur www.atlantico.fr seront moins personnels, c’est certain. Toutefois, je préfère me concentrer ici – un site consacré aux expositions – sur ma visite des musées d’Israël et de la Shoah, le troisième jour. Le chiffre 3 n’est-il pas capital dans la religion chrétienne ? Le Père, le Fils, et le Saint Esprit. Jésus est mort à 33 ans, à 15h, soit 3 heures de l’après-midi, etc. Abréviation en trois lettres ! Non, là, je pousse.

IMG_4864Maquette : vue (sud) sur les trois vallées, dont la forme se retrouve sur les mezuzahs

Dans un écrin moderne, il n’a rien de poussiéreux. Fondé le 11 mai 1955, le Musée d’Israël fête ses cinquante ans, cette année. Un indice ? Le cœur rouge en métal de Jeff Koons prêté à cette occasion par un collectionneur privé. Décidément, il est partout ce Jeff Koons. Au sortir du hall d’entrée se déploie une large maquette (400 m2) de Jérusalem, qui reconstitue la géographie de la ville à l’époque hérodienne, à savoir du Second Temple. Elle est l’oeuvre d’un couple de chercheurs, les Avi-Yonah, à qui l’on doit un anachronisme et un oubli, entre autres libertés. Sous Hérode, les maisons (100% pierre) s’inspiraient encore du style cananéen, sur deux niveaux, avec une cour entourée de quatre chambres. Des toits en tuiles – influence byzantine – se concentrent toutefois au premier plan. On lève les yeux à gauche, à la recherche du Cénacle, dont on ne trouve aucune trace. Cette omission n’en est pas une : les Avi-Yonah ont choisi de remplacer le foyer de la Cène (dernier repas du Christ en compagnie de ses apôtres) par la tombe de David. Puisque les deux sites cohabitent réellement sur le mont Sion, quel besoin de les fusionner ? Mystère.

IMG_4876 Sanctuaire du Livre

On a presque la même vue que depuis le mont des Oliviers. Après avoir fait le tour de la maquette, on retourne au niveau de l’entrée, côté est, afin d’apercevoir l’intérieur du temple. Impossible dans la vraie vie, depuis que les Palestiniens en ont interdit / limité l’accès aux touristes et aux Israéliens. La structure du temple est simple quand on y pense. Hérode l’a fait protéger par une enceinte divisée en 700 piliers de pierre, dont le mur des Lamentations s’avère en réalité un vestige. Tel est le cadre de la cour des gentils, ouverte à tous les païens. Au cœur de cette cour, une autre enceinte regroupe la cour des femmes, que seules les familles juives avaient le droit de pénétrer avec offrandes (des moutons, de la part des riches : des pigeons, de la part des pauvres), et la cour des prêtres, abritant, à droite, un autel dévolu aux sacrifices. Ces deux derniers espaces sont séparés par une façade en forme de « T », typique de l’architecture cananéenne, et précédée de douze marches. Sur chacune se tenait, de part et d’autre, un membre de la famille Lévi (24 au total) chargé de sonner le cor à l’heure des rituels. En haut de cet escalier, la porte de Nicanor, dont les colonnes évoquent les deux bougies et les deux pains servis pendant chabbat. Autant d’étapes qui permettent de garder le meilleur pour la fin. Le Temple lui-même se compose de trois parties, une antichambre, la salle sainte, et le Saint des Saints. De même qu’un plan de dissertation française, la religion juive ne semble graviter qu’autour de trois axes.

IMG_4879Intérieur du Sanctuaire du Livre

Question ! « M’sieur, m’sieur ! Moi, moi, jai une question ! Qu’est-ce que la coupole blanche géante qui trône là-bas ? » Le Bien, face au grand mur noir qui symbolise le Mal. Cette allégorie de l’Apocalypse annonce une exposition consacrée aux rouleaux de la mer Morte, une série de 180 fragments de papyrus bibliques retrouvés dans onze grottes situées dans et autour du village de Wadi Qumrân. Énorme coïncidence : cette découverte date du jour exact où l’ONU a voté le Plan de partage de la Palestine, le 29 novembre 1947. Bien sûr, d’aucuns y lisent un signe divin. L’éclairage est tamisé pour des raisons de conservation. Un regret : nous n’avons pas eu le temps d’explorer les autres ailes du musée. À charge de revenir !

IMG_4882Jeff Koons au coeur du monde

Passons la rencontre avec l’attachée de presse, une New-yorkaise pleine de vie, que j’ai fait appeler depuis l’accueil afin d’étoffer mon réseau ; passons le cheesecake et la tarte aux noix de pécan qui me faisaient tant envie au café du rez-de-chaussée, le Mansfeld (une critique de restaurant manquée) ! Déjeuner au sous-sol du mémorial de Yad Vashem, après une introduction détaillée de ses collections. Nouvelle ascension jusqu’au hall que l’on quitte pour regagner le bâtiment des Justes, précédé – en toute logique – du chemin des Justes, lui-même jalonné de plaques dédiées aux bienfaiteurs des juifs durant la Seconde Guerre Mondiale, les Justes. On dirait un prisme argent. La forme triangulaire de cette aile récente (2005) évoque la moitié d’une étoile de David, soit la proportion de juifs terrassés par le régime nazi, entre 1945 et 949 (3 millions sur 6).

IMG_4883 Mémorial de Yad Vashem

La moquette à l’entrée représente le confort de la société actuelle. Ainsi l’architecte israélien Moshe Safdie pensait amortir le choc voué à être ressenti par les visiteurs. Le glissement vers un sol en béton, assorti à la froideur des murs, marque un retour dans le passé. Huit galeries retracent les grandes étapes du conflit, de la montée au pouvoir d’Hitler à la signature d’un traité de paix, en passant par les invasions de la Pologne, du Front Ouest, l’opération Barbarossa, les déportations, et la solution finale. Entre les pièces d’argenterie ravies aux Juifs par les Allemands, les étoiles jaunes en tissu, les poèmes de prisonniers, les photos d’archives, les interviews de rescapés, les maquettes de camps, les chaussures de déportés, les lits superposés où s’entassaient jusqu’à neuf détenus, les vitrines dévolues aux Justes, parmi lesquels Dr. Adelaïde Hautval et Raoul Wallenberg, les dessins d’enfants… l’émotion atteint très vite son paroxysme. La scénographie est tant variée que suffocante. Tout au bout, à droite, près de la sortie, une galerie de portraits pose la question de l’identité : un anonyme reste-t-il avant tout un homme ? Faut-il un nom pour être quelqu’un ? 

IMG_4937Forme prismatique

Le cœur lourd, j’ai suivi Beny jusqu’à un autre bâtiment, aussi impressionnant par ses dimensions que son contenu. Dans l’obscurité la plus totale, une voix associe des noms, à un âge et à un pays. Cet appel s’opère sous une constellation de spots représentant chacun un enfant victime de la Shoah. Une pression de plus en plus forte s’exerce dans la poitrine.

Immersion dans le mémorial des enfants

Autre occasion d’avoir souffle coupé : vers la fin du parcours, un bronze de Boris Saktsier incarne une bande d’adolescents apeurés malgré la charisme de leur protecteur. Cette figure tutélaire n’est autre que Janusz Korczak, médecin-pédiatre qui choisit d’être déporté vers Treblinka avec les orphelins juifs dont il avait la charge au ghetto de Varsovie. La taille de sa main et de son visage crée une disproportion d’autant plus légitime qu’à la mesure de son courage. Une vraie leçon d’humilité… Qui ne ressort pas de là sonné, a du mérite. Fin de la visite. 

IMG_4968Janusz Korczak et ses orphelins de Varsovie