Et Aix ! À l’occasion de sa (ré-)ouverture, l’Hôtel de Caumont consacre une exposition au maître vénitien.
Né et mort à Venise, il semblait naturel que Giovanni Antonio, dit Canaletto (1697-1768) jouât, de son pinceau, le rôle d’ambassadeur auprès des étrangers de passage en Italie. Si le XVIIIe lui doit force de vedute (genre pictural soulignant la perspective de panoramas urbains), la ville d’Aix-en-Provence est la première à regrouper aujourd’hui les toiles de sa période anglaise. Une initiative qui remet en question le réalisme souvent imputé au peintre. Comment pouvait-il représenter avec précision un paysage qu’il n’avait pas en face de lui ? À Londres, quand on ne lui commande pas de châteaux, il rêve de Venise. De là bon nombre de caprices. Nulle allusion ici à la cyclothymie de l’artiste, mais à une forme de représentations partiellement imaginaires. Ainsi, la Provence devient, le temps d’une exposition, le point de rencontre de l’Angleterre et de l’Italie. Voilà le triangle qui prélude à l’ouverture et l’activité du nouvel Hôtel de Caumont, cet ancien conservatoire de musique désormais reconverti en centre d’art.
Venise pour les Anglais
Tel père tel fils. Apprenti décorateur de théâtre aux côtés de son père, à Rome, Canaletto (1687-171768) s’affirme, dès son retour à Venise, en 1721, en tant que vedutiste. Sa réputation repose sur son sens de la précision et son traitement de la lumière. Deux qualités qui lui valent de peindre sa ville natale pour les touristes britanniques. Parmi ses commanditaires, le banquier et collectionneur, Joseph Smith – futur consul anglais à Venise – lui commanda treize dessus-de-porte représentant des monuments d’inspiration palladienne, dont le Pont du Rialto selon le projet de Palladio (1744, prêt de Sa Majesté la Reine Élisabeth II, Londres), présent dans l’exposition. À cette époque, l’Angleterre vouait, en effet, une admiration sans borne à Andrea Palladio (1508-1580), théoricien de la Renaissance italienne perpétuant le style antique.
Pont du Rialto selon le projet de Palladio
Dès la troisième étape du parcours, certaines œuvres évoquent la technique du lavis. Les personnages se résument parfois à deux taches de couleurs, marquant la division entre ombre et lumière sur le visage. On imagine l’artiste déposant la pointe de son pinceau délicatement sur chaque ovale, dans l’espoir que la peinture se répartisse équitablement sur la toile. Tributaire des caprices de la matière, tout aquarelliste prend le même risque, en un sens. Pourtant, le terme de capriccio en arts plastiques semble plutôt renvoyer aux infidélités de la mémoire, voire aux humeurs d’un artiste enclin à modifier la réalité. Dans ces conditions, la peinture à l’eau se présente comme un moyen pour l’artiste d’attiser son imagination.
L’Angleterre en Angleterre
Ce parallèle technique trahit également la proximité qu’entretenait Canaletto avec l’Angleterre. Le maître vénitien s’installe à Londres en 1746. Là, il multiplie les aquarelles, diluant littéralement les détails qui ont forgé sa renommée. Soucieux de recenser leurs biens, certains propriétaires anglais le prient de bien vouloir peindre leur demeure. D’où les tableaux Alnwick Castel (collection du Duc de Northumberland), et Warwick Castle (Birmingham Museums). Fort d’un prêt exceptionnel, l’Hôtel de Caumont réunit deux vues sur la Tamise, probablement conçues comme une paire. Une première ! Londres, la City vue de la terrasse de Somerset House (The Courtauld Gallery, Londres) et Londres, la Cité de Westminster vue de la proximité du York Watergate (Yale Center for British Art). Avant de quitter l’Angleterre, en 1755, Canaletto cède pourtant à l’appel des caprices (encore et toujours!). Il fusionne motifs antiques, modèles palladiens, et souvenirs vénitiens, dont le caractère vaporeux donne l’impression d’un rêve. Impression que prolonge l’exposition du Centre d’art d’Aix-en-Provence, tant son nouvel écrin est féérique.
“Canaletto – Rome, Londres, Venise”, du 6 mai au 13 septembre. Caumont Centre d’art, Aix-en-Provence.
À VOIR AUSSI : L’exposition s’accompagne d’une installation immersive signée Gianfranco Iannuzzi, qui revisite l’oeuvre de Canaletto en la plongeant dans un contexte qui aurait très bien pu être le sien au moment où il peignait les vues de Venise.