À la cinquantaine, le peintre espagnol échappe à la mort de justesse. Un miracle qui renforce son intérêt pour la sorcellerie. Tel est le thème qu’explore aujourd’hui la Courtauld Gallery, à Londres.
La Somerset House est en travaux ? Pourquoi tous ces échafaudages, alors ? La Fashion Week est passée par là. C’est donc l’heure du grand nettoyage.
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Are you a student ? (êtes-vous étudiante?)
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No, I am a journalist. (non, je suis journaliste)
Lucky me, (La chance), un billet gratuit !
Les étages se superposent entre boiseries et marbre, peintures de la Renaissance et toiles impressionnistes que l’on a hâte d’aller contempler au sortir de l’exposition temporaire. On la repère à ses murs rose poudré, une teinte plutôt douce comparée à la noirceur du sujet traité, la finitude angoissante de l’homme. Le parcours ne va pas au-delà de deux salles. Un espace assez grand pour reconstituer l’un des huit albums privés de Francisco de Goya (1747-1828) – notés de A à H – dans son intégralité. Aux croquis liminaires empruntés aux institutions français, hollandaises, et espagnoles, succèdent les 23 pages – elles aussi dispatchées aux quatre coins du monde – constituant un recueil entièrement consacré aux sorcières et aux vieilles dames (1828). Le pessimisme qu’elle semblent véhiculer n’a d’égal que l’ironie qui les colore. Au sens figuré, car la série se cantonne au noir et blanc. L’artiste était certes devenu sourd mais ses croquis sont criants. L’une des légendes suggère même que l’on peut entendre retentir le bruit d’un fouet claquant sur la cuisse d’un vieillard malmené.
Les qualia de Goya
Moins que l’orthographe, heureusement (Quoi ! On n’a plus le droit d’être cynique, à présent ? ). Une faute saute aux yeux des hispanophones. Tambien écrit tan bien. À bons entendeurs, désolé. Hormis ce détail, rien d’alarmant. Le charme des pages opère sans mal, ou presque. Il est quand même question de torture, de laideur, de handicap, et de folie. L’humanité au pire de sa forme, physique et morale. Aux silhouettes toutes ratatinées, sans exception, répondent des peaux froissées par le temps, des traits menaçants, des regards emplis de perversion qui n’augurent rien de réconfortant. Et pourtant… chaque feuille transpire l’ironie, ce grain de sable, cette poussière presque imperceptible qui sème le doute dans l’esprit du spectateur. Goya verse-t-il dans le rire ou dans la déprime ? Quelle était son humeur à l’ouvrage ? Tous les hommes, y compris lui-même, se meurent. Qu’y a-t-il d’amusant à cette inéluctable tragédie ? Sa dimension érotique. Le désir et la mort. Le désir de la mort, en tant qu’apogée de la vie. Leurs sorts sont étroitement liés, ligotés, menottés. Ainsi de l’orgasme, l’ataraxie par le plaisir occis. Goya serait donc un porc. Toute de suite ! Heureusement, sa maestria étouffe les préjugés, les conclusions hâtives. La forme transcende le fond, si bien que l’on balance toujours entre deux extrémités sublimes. De la superstition à la sorcellerie, du rêve (érotique) au cauchemar, de la vieillesse à l’au-delà. Voilà les trois grands fils que l’on suit, avec l’équilibre d’un funambule débutant que le fantôme de Goya redresse constamment, tantôt par la gauche (côté associé à la mort dans la civilisation greco-romaine), tantôt par la droite.
En effet, la vieille peau s’apprête à dévorer l’enfant !
“Goya. The witches and Old Women Album”, jusqu’au 25 mai, Courtauld Gallery, Londres.