Mortel Mortdecai
Je m’suis fait une toile ct’aprèm. La crème des navets. Donc pourquoi parler « proprement » d’un film aussi vulgaire ? Vulgaire, parfaitement ! Entre scatologie et lourdeurs, l’intrigue ne vole pas haut.
Il est bien question d’une toile, d’un Goya disparu porteur d’une série de chiffres rattachés à un compte bancaire. Tout le monde se le dispute sans jamais en justifier la valeur, parce que ce chef-d’œuvre sert en réalité de prétexte à une caricature. Dans cette farce hybride signée David Koepp (Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal), le comique de mots n’a d’égal que le comique de répétition. Pas difficile de faire pire dans l’un comme dans l’autre. Bien loin d’amuser, la double réplique qu’échange maître et valet, après chaque scène de bagarre, agace tant elle sonne faux. Et quand, à la fin, Mortdecai prend son courage à deux mains pour sauver son garde du corps avant de lui répondre : « C’est un honneur, Monsieur », l’inversion de rôles est si attendue qu’elle ne suscite pas même un sourire. S’il ne s’agissait que d’abrutissantes redondances ! L’humour s’alourdit sous le poids de la scatologie. Quand les couilles de Johnny Depp ne sont pas menacées d’électrocution, un vieillard sénile propose à Gwyneth (dont le nom aurait pu faire l’objet de plaisanteries douteuses, s’il avait été conservé) de lui montrer « sa chose » dans les toilettes. On n’est même pas soulagé d’apprendre que le pervers s’en référait ainsi au Goya et non à son membre émoustillé par la beauté de son invitée. Rien n’est plus écœurant, enfin, que la scène où l’homme à tout faire, victime d’une intoxication alimentaire (il est le seul à avoir goûté aux crustacés empoisonnés par le méchant de l’histoire), se purge sur le pare-brise de la voiture qu’il pourchasse aux côtés de son seigneur. Ce dernier va jusqu’à souligner la nature féodale de leur relation avec un naturel déconcertant. En d’autres termes, il est « naturel » que l’un soit prêt à donner sa vie pour l’autre. L’amusement censé découler de ce décalage (avec la mentalité dominant à notre époque) tombe à plat. Pourquoi ? Parce que l’ensemble est mal joué.
Ça, à la rigueur, c’est déjà plus drôle
Si j’avais écrit cet article en anglais, j’aurais titré « Mortdecai : Depp’s Deep Decay » (le profond déclin de Johnny Depp). Depuis Pirates des Caraïbes, on dirait que l’acteur-phare de cette comédie (ou policier, à en croire Allociné) ratée a du mal à changer de registre. Charlie et la Chocolaterie / Charlie Mortdecai, même combat. Ce qui était drôle au début, aujourd’hui irrite. Toujours ces mimiques, pour ne pas dire tics, cet air maniéré, ce ton nasillard… On en a marre ! Le temps où il fallait faire plaisir à tes enfants, Johnny, est révolu. Reprends du service, reprends du sérieux. Derrière tes traits puérils, tu risques le discrédit, voire le coup de vieux. Tu as suffisamment ménagé ton coup de théâtre. Rereconvertis-toi, et vite ! Même Léa Salamé t’a renié chez Ruquier. Quant à Gwyneth Paltrow et Ewan McGregor, interprétant respectivement la femme et le rival du héros, ils sont tellement séduisants, qu’ils détournent superficiellement notre attention. Pourquoi se refuser un point de vue d’esthète ? L’intrigue ne repose-t-elle pas soi-disant sur une œuvre d’art ? À défaut de voir défiler beaucoup de tableaux, le regard se rabat sur les acteurs. La silhouette longiligne de Mme. Mortdecai prime la moue supplicatrice qu’elle adopte pour inciter son époux à se raser. Place à l’identification car l’on se réjouit de constater que McGregor se soit enfin débarrassé de la barbe qui le défigurait dans Last Days in the Desert.
Au vu d’un casting si prestigieux, plane tout de même le soupçon du second degré. Soit, du troisième degré. Si les personnages exaspèrent, notre attachement aux acteurs finit par prendre le dessus. Comment Ewan McGregor ou Gwyneth Paltrow ont-ils pu tomber aussi bas ? Aucun des deux n’est aux abois, pourtant. Au contraire, le premier compterait parmi les stars les mieux payées en 2015, avec un salaire de 75 millions d’euros. De son côté, la blogueuse et pinup de Glee n’a pas à se plaindre non plus. Seul MortDEPPcai et sa moustache font, par lassitude, un peu tache. Et quand celui-ci annonce à sa femme, dans un élan d’une niaiserie innommable, qu’il se sent enfin prêt à sacrifier ses poils au nom de son amour pour elle (Quel sacrifice ! Ô supplice !), un petit (mais alors tout un tout petit) zygomatique se contracte pour cautionner cette conclusion débordant (la scène se déroule dans un bain) de bons sentiments. On s’attache, moins à la moustache-postiche qu’au couple, porté par l’anti-potiche ; si bien qu’au moment où les deux héros manquent de vomir, juste avant le lancement du générique, on ne peut s’empêcher, comme par réflexe, de les imiter. Bouah ! Heureusement que la BO laisse, tout de suite après, béat.