En déplaise aux pudibondes, Orsay tombe les corsets, et la Pinacothèque fantasme sec. À Paris, deux visions de la sexualité s’opposent et s’exposent.
Le sexe pénètre les musées parisiens. Si la Pinacothèque adopte un point de vue spirituel à travers le prisme de l’Orient, le Musée d’Orsay fait de la pensée de Sade le point de départ de la modernité littéraire et picturale en Occident. Parallèlement à ces deux manifestations, le Musée de l’érotisme rend hommage au dessinateur André-François Barbe, tandis que la Cité des sciences passe par Titeuf pour expliquer aux enfants comment on fait des enfants, justement.
Le sexe décomplexé
En bon missionnaire, l’exposition de la Pinacothèque a pour but de rendre au Kâma-Sûtra ses lettres de noblesses. L’expression convient d’autant plus qu’il s’agit d’un ouvrage indûment qualifié de pornographique. Bien qu’il recense plus de quatre-vingts positions, ce texte en sanskrit instruit le kâma, troisième pilier, palier dans l’hindouisme, où l’homme prend pleinement conscience de sa vigueur corporelle et spirituelle.
Cette vigueur se traduit par un appétit sexuel débordant le cadre de l’intimité. Chez les Hindous, la sexualité relève du domaine public. L’érotisme n’est pas coupable en tant que tremplin de la reproduction. Le désir du périnée – celui qui provient et s’adresse au – est par conséquent pérenne.
Autant de « décomplexion » force flexions et réflexions. La lumière tamisée au sein des salles bariolées convie le visiteur à se pencher, bien souvent en avant, soit pour déchiffrer une légende, soit pour observer un objet difficile d’accès. Dans ce parcours contorsionné, la bande-son d’une profonde suavité diverge de verges qui bandent. Choqués la par crudité de certaines vitrines, les visiteurs s’éternisent plutôt devant les cartels.
Heureusement, dans ce joyeux « bordel », amour rime avec humour. En plus d’encourager l’adultère, la mythologie hindoue brouille les genres. Dieux et déesses sont interchangeables en tant qu’ils arborent les deux sexes. Reste à savoir si cet hermaphrodisme frauduleux doit appuyer ou dissimuler leurs penchants homosexuels. Deux dieux entre eux ne dérogent pas aux lois naturelles si l’un jouit d’attributs féminins, non ? En fin de parcours, une sorte de godemichet géant, appelé lingam, sert à surprendre les femmes durant la Holi, fête printanière des couleurs. Provocation candide qui discrédite l’érection d’un sexe faible dans la religion hindoue. Si soumission il y a, elle se veut consentie. On est loin des scènes de violences défilant au Musée d’Orsay.
« La Kâma Sûtra : spiritualité et érotisme… », jusqu’au 11 janvier, à La Pinacothèque, Paris
Une révolution des sens
La presse s’est fourvoyée en annonçant un parcours proprement débridé. L’exposition que propose aujourd’hui le Musée d’Orsay porte moins sur la perversité que la violence ; moins sur Sade, le libertin, que le sadisme en soi, c’est certain.
Prenez sept thèmes, dont le leitmotiv de la violence, et une centaine de chefs-d’œuvre éclairés par des citations d’un seul et même auteur. Secouez bien fort et vous obtenez l’exposition « Sade. Attaquer le soleil ». « Éclairés », c’est précisément le terme qu’emploie la co-commissaire Annie LeBrun pour expliquer le rôle de l’écrivain anticlérical dans la formation d’un nouveau paysage mental dès la fin du XVIIIe siècle. En d’autres termes, Sade serait le briquet de nombreuses passions. Son rayonnement est tel qu’il aurait influencé, outre des hommes de lettres, des peintres. Si Flaubert lui vouait un culte, son ombre planerait au-dessus de Picasso, Delacroix, Kubin, Duchamp… et bien d’autres encore.
Or ces rapprochements, ces « éclairages », tout pertinents qu’ils soient dans le cadre d’un travail scientifique, semblent quelque peu artificiels à la lumière du soleil, astre de la vérité. Entre quelques clichés pornographiques, de pénis turgescents ou de jambes écartées, certains prêts irradient par leur rareté. C’est le cas de Figures au bord de la mer, emprunté au musée Picasso et encadré pour l’occasion, ou encore de L’enlèvement cézannien provenant du Fitzwilliam Museum de Cambridge. Néanmoins, le caractère exceptionnel de ces trophées ne suffit pas à rendre l’ensemble de la collection éblouissant de justesse. À la lueur de ce feu follet plastique, on serre les fesses pour le dire aussi vulgairement qu’aurait pu le faire l’intéressé.
« Sade. Attaquer le soleil… », du 14 octobre au 25 janvier, au Musée d’Orsay, Paris
À VOIR AUSSI :
« André Barbe, salut l’artiste… », jusqu’au 31 octobre, au Musée de l’Érotisme, Paris
« Zizi sexuel, enfin le retour », du 14 octobre au 2 août 2015, à la Cité des sciences, Paris
À VENIR : « Le Baiser », du 25 mars au 26 juillet, Musée Maillol, Paris