Les Macchiaioli sont-ils les précurseurs de l’impressionnisme ? Le musée de l’Orangerie consacre jusqu’au 22 juillet 2013 une grande exposition au mouvement italien.
Non, la mafia n’a pas envahi les Tuileries. Méconnus du public français, les Macchiaoili ne sont pas un gang de délinquants, mais un groupe d’artistes révolutionnaires qui, par leur technique enlevée et leurs convictions politiques, contribuèrent au renouveau de la peinture italienne. C’est précisément ce qu’entend montrer le musée de l’Orangerie à travers l’exposition Les Macchiaioli, 1850-1874, des impressionnistes italiens ?.
Un anachronisme convaincant
Raillés par la critique, les Macchiaioli doivent leur nom à un chroniqueur anonyme de la Gazzetta del Popolo qui les baptise ironiquement “tachistes” en 1862. Mais la polysémie même du mot “macchia” en italien peut éclairer l’esthétique de ces artistes peu conventionnels. Au sens propre, une macchia est une trace de saleté. Dans le vocabulaire pictural, il s’agit d’une esquisse. Dans le langage courant, le terme désigne une végétation broussailleuse et, par extension, une tendance à la révolte (darse la macchia signifie devenir un bandit). Enfin, il fait allusion à une faute déshonorante. Tout est dit. Les Macchiaioli procédaient par touches, par taches, de couleurs afin d’accentuer les contrastes de leurs paysages. Ils croquaient à l’extérieur, cherchant à s’affranchir de leurs prédécesseurs. Une démarche qui leur valut un accueil aussi mitigé que les impressionnistes, une dizaine d’années plus tard.
Néanmoins, ce n’est pas là la seule ressemblance entre les deux courants. Bien que sensibles à l’équilibre formel et à la transparence des tons propres au quattrocento, le XVe siècle italien, les Macchiaioli s’opposent à l’académisme de leurs maîtres et au romantisme de leurs contemporains ; de même les Monet, Morisot, Renoir marquent une rupture totale avec la tradition. Derniers points communs : un intérêt profond pour les scènes du quotidien, un rapport direct avec la nature – tous peignaient en plein air – et un goût prononcé pour l’art oriental, comme en témoigne L’Alzaia, qu’une estampe japonaise aurait inspiré à Telemaco Signorini.
© S. S. P. S. A. E. Federico Zandomeneghi, Portrait de Diego Martelli au bonnet rouge, 1879
Une impression, rien de plus
Aussi séduisant soit-il, ce parallèle entre Macchiaioli et impressionnistes ne coule pas de source : chacun s’inscrit dans un pays et dans une période donnés. Isabelle Julia, conservateur général honoraire du patrimoine et co-commissaire de l’exposition, est catégorique : “L’exposition s’arrête en 1874, l’année même où le photographe Nadar prête son studio aux futurs impressionnistes.” Les deux mouvements se succèdent sans se rencontrer. C’est également l’époque du Risorgimento, un thème a priori exclu de la peinture française. Dès 1848, De Tivoli, Lega, Costa, Fattori s’engagent dans la lutte pour l’unité italienne aux côtés de Giuseppe Garibaldi, dont presque tous brossent le portrait. De ce contexte politique est née une série de scènes de bataille aux accents réalistes. La peinture de genre distingue, elle aussi, les Macchiaioli de leurs pairs. “Ils peignaient pour meubler”, ajoute Isabelle Julia, soit décorer les salons. C’est ainsi qu’il intégrèrent indirectement, par leur regard et leur art, la bourgeoisie de Florence. Toutefois, la vraie particularité du groupe réside dans l’utilisation de petit panneaux au format panoramique qu’ils transportaient partout avec eux, pour tenter d’y reproduire les variations de la lumière toscane.
© Institut Matteucci Giovanni Fattori Soldats français en 1859, 1859
En réalité, les impressionnistes et les “tachistes” n’ont jamais été amenés à se côtoyer. Les Macchiaioli n’avaient pas assez d’argent pour voyager. C’est au Caffè Michelangiolo qu’il se réunissaient pour partager leurs idées ; un café qu’Edgar Degas fréquenta lors de son premier voyage en Italie (1856-1860). Second point de ralliement, la maison de leur mécène, Diego Martelli, dont deux portraits ouvrent l’exposition. “Je voulais qu’il accueille les visiteurs de la même façon qu’il accueillait les Macchiaioli chez lui”, explique Isabelle Julia. Inversement, si la peinture des Macchiaioli semble avoir influencé l’oeuvre de Paul Guigou, comme le suggèrent les trois toiles présentées par l’Orangerie, le paysagiste provençal n’a pour autant jamais mis les pieds en Italie. Autrement dit, si les Macchiaioli ont inspiré leurs contemporains, c’est bien malgré eux. Et la réciproque est vraie, puisque leurs héritiers fortuits ne se réclament pas de leur autorité. Les Macchiaioli sont-ils les impressionnistes italiens ? Si l’exposition se garde bien de répondre à cette question, elle n’hésite pas à jouer avec les étiquettes pour inciter le public français à découvrir le “tachisme” toscan.
© Archives Alinari Silvestro Lega, Après le déjeuner, ou la pergola, 1868
Les Macchiaioli, 1850-1874, des impressionnistes italiens ? Exposition jusqu’au 22 juillet. Au musée de l’Orangerie, jardin des Tuileries, 75001 Paris.