Le Grand Palais consacre, pour la première fois depuis vingt ans, trois niveaux, soit 2 000 mètres carrés, à cette artiste à double face. Une artiste qui prend de la place !
Née en France, élevée puis expatriée, de son gré, aux États-Unis, Niki de Saint Phalle incarne, à bien des égards un paradoxe dans lequel nous plonge d’emblée la scénographie de l’exposition. En proie très jeune à de nombreuses angoisses que cultive éhontément un père incestueux, elle se réfugie dans l’art, un univers où la mort se mêle à une palette colorée. Si rien n’est, à ses yeux, ni blanc, ni noir, le spectateur évolue lui entre des murs gris (ce doit être la mode), au sein d’une terre inconnue qui se teinte à la lumière des thématiques traitées. La maladie, le féminisme, la beauté… autant de concepts fragmentant et cristallisant la personnalité de cette femme phénoménale.
Saint Phalle bicéphale
La presse titre, à l’unisson, une « sacrée/super nana » ; alors même que l’exposition souligne la dualité du personnage. Autodidacte, l’ancien mannequin fétiche de Vogue, Harper’s Bazaar et Life Magazine, s’inspire ouvertement de l’œuvre de Gaudi et de Dubuffet. Les « drippings » (de drip, en anglais, qui signifie couler) de Pollock lui donnent l’idée géniale de tirer sur des surfaces verticales contenant des poches de peinture recouvertes de plâtre blanc. Au coup de feu répond ainsi un coup de maître. « J’ai eu la chance de rencontrer l’art parce que j’avais, sur un plan psychique, tout ce qu’il faut pour devenir une terroriste. Au lieu de cela j’ai utilisé le fusil pour une bonne cause, celle de l’art. »
Cet acte de violence trouve écho dans les thèmes qu’aborde l’artiste névrosée au début de sa carrière, dans les années 1950. Après un séjour à l’hôpital psychiatrique où elle se voit diagnostiquer une schizophrénie aiguë, Niki de Saint Phalle se met à peindre (sur) la mort. Féministe engagée, elle affirme son sérieux au travers de thèmes aussi intriqués que la maternité, l’accouchement, la prostitution, le mariage, que la naïveté apparente de son style aurait pu remettre en question si elle n’avait su jouer de son image. Or, la récurrence de certains sujets et ses interventions répétées dans les médias légitiment sa volonté d’asseoir la suprématie de la femme dans une société largement dominée par le sexe masculin.
Toutefois, la visage qu’offre Saint Phalle de la femme s’avère lui-même contradictoire. Face aux jeunes filles sexuellement abusées, aux épouses claquemurées dans leur vie domestique, s’opposent des des mère castratrices ou bien des femmes épanouies dans leur grossesse, dont Clarisse Rivers lui offre un bel exemple. Où se situe la sculptrice dans ce jardin d’ogresses ? L’ex-top model souffrait-elle à ce point de sa féminité, de sa beauté qu’elle ressentit le besoin de projeter sa force, sa rage, de vivre, de créer, sur tant d’ingrates silhouettes ? La théorie vaut ce qu’elle vaut. « Je passerais ma vie à questionner. Je tomberais amoureuse du point d’interrogation ». D’une extrême richesse, l’exposition enjugue le spectateur à la même ponctuation.
« Niki de Saint Phalle », du 17 septembre au 2 février, au Grand Palais, Paris