Quelle chance de passer toute une journée dans l’enceinte d’un des plus grands musées américains. Il suffisait de demander !
11h55 : Monroe, sur la Blue Line, est la sortie la plus proche. Je m’engage dans la rue du même nom, en direction de Millenium Park. Passés quatre « blocks », soit quatre pâtés de maison, un passage clouté embrasse la largeur de Michigan Avenue. Porte trapue réservée aux « Staff » (le personnel) et « Visitors ». Légère pression sur l’interphone. Aucune réponse. Seconde tentative. Sésame, ouvre-toi. Un étroit couloir en pente mène jusqu’à un agent de la sécurité. Deux registres à signer avant de rencontrer l’instigatrice de mon immersion artistique.
11h-12h20 : Visite guidée de l’exposition « Magritte : The Mystery of the Ordinary » en compagnie de Stéphanie D’Alessandro. Pas un bruit alentour. À croire que les toiles du peintre belge aspirent les spectateurs un à un.
12h20-13h : Déjeuner-express au Museum Café. Ne pas se fier à ses airs de cantine. Chaque stand de ce self haut de gamme, sert des plats fort raffinés, du confit de canard au cabillaud poché en passant par les pommes de terres rôties et les brocolis « vapeur ». Le plus impressionnant demeure l’étalage de desserts trônant au milieu de la pièce. Liquorice-coffee (réglice-café), triple chocolate, banana-walnut (banane-noix), carrot-cumin… Vive les cup-cakes et leur glaçages en spirale ! Networking… Oui, à force de manger de l’anglais toute la journée, je suis condamnée à recracher des anglicismes.
13h-14h : Rendez-vous avec Gloria Groom, conservatrice des salles consacrées à la peinture européenne du XIXe siècle. Flashback sur notre première discussion, il y a deux ans, dans le cadre de l’exposition « L’impressionnisme et la Mode », montrée à Paris, New York et Chicago. Double bise « à la française » avec scansion de mon nom. À croire qu’elle se souvenait de moi. Suffisamment pour vouloir me présenter à l’ensemble de son équipe. Interview-éclair dans son bureau sur la perception du mouvement impressionniste aux États-Unis. Croyant bien faire, mon interlocutrice entame une réponse en français. J’insiste pour qu’elle recoure à anglais. Elle semblait toutefois tenir à pratiquer ma langue. De mon côté, je comptais l’exploiter pour enrichir mon vocabulaire. S’ensuit un dialogue franco-anglais des plus décontractés. Visite privée de son département interrompue par la rencontre d’un « compatriote », Sylvain Bellenger, conservateur des peintures et sculptures européennes, médiévales et modernes depuis l’année 2012. L’Art Institute par-ci, l’Art Institute par là. « Vous avez vu, nous sommes les meilleurs en ceci, et les premiers à avoir effectué cela ». Un peu de retenue ! Même Rebecca Balwin, l’attaché de presse à qui je dois cette journée, n’en ferait pas autant. Sensible à la gêne qui s’instaurait, Gloria m’exhorte devant le fameux tableau « Rue de Paris, temps de pluie » (1877) de Gustave Caillebotte. Sa restauration date d’il y a trois mois à peine. Remarque quant aux murs récemment passés du gris souris à l’ardoise. Emprunt à la l’exposition Magritte dont la scénographie suscite encore des réactions mitigées. Adieux cordiaux…
14h-16h : … suivis d’un entretien avec Allison Langley, conservatrice assignée à la peinture moderne. Savoir prendre son mal en patience. J’aurais dû penser à cela avant de rechigner à l’idée de regarder une série de diapos. Grâce au powerpoint de ma nouvelle hôtesse, je vais pouvoir lancer ma chronique dédiée aux tableaux dissimulant une d’autres peintures (épisode 1 à paraître en septembre). Inversement, au terme de cette précieuse projection, j’étais loin d’imaginer que j’accèderais aux coulisses de l’Art Institute. C’est pourtant là que j’ai atterri, au milieu d’œuvres en cours de restauration. Cri d’effroi ! Allison s’empare nonchalamment d’une toile colorée. Ceci n’est pas une croûte, mais un Braque qui aurait pris l’eau. Ce que l’on pourrait prendre pour de la négligence ou un travail volontairement inachevé apparaît, lunettes grossissantes sur le nez, comme un accident malencontreux dont il faudra à mon guide trois semaines pour le corriger. Ce n’est rien comparé à la fresque du XIVe siècle dont l’inauguration n’aura pas lieu avant 2026. “2026 !” renchérit Allison soulignant le naturel avec lequel sa collègue vient d’évoquer son labeur. À la question « quel aspect de votre métier préférez-vous » toutes deux s’accordent à rappeler leur bagage artistique. « C’est tellement agréable, après des mois de recherches, de se retrouver nez-à-nez avec une toile. » Un conseil déguisé à appliquer sur le champ. D’où mon retour précipité face à la Toilette de Berthe Morisot, mon tableau préféré à l’Art Institue de Chicago.
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