Six ans après leur acquisition, les couvertures conçues par le peintre pour la revue d’André Breton font l’objet d’une exposition dans la Galerie 4 du Centre Georges Pompidou.
Pas de littérature pour parler de « Littérature ». Fondée en 1919 par le triumvirat Aragon-Soupault-Breton, la fameuse revue « de poèmes et de proses » devient l’exclusivité de ce dernier de 1922 à 1924. Un changement de cap que le surréaliste en chef accuse grâce à la contribution de Francis Picabia. Sa mission : renouveler la couverture de chaque numéro. Outre les neufs dessins publiés avant la dissolution du support, l’exposition du Centre Pompidou révèle les autres propositions – rejetées – de l’artiste cubain. Un ensemble de vingt-six croquis originaux, que le musée acquiert en 2008, grâce au mécénat du géant pharmaceutique Sanofi, et présente aujourd’hui dans l’ordre chronologique, au milieu de documents signés Man Ray, Robert Desnos, Paul Éluard ou encore Max Ernst. Un dialogue qui s’achève sur la séparation entre Picabia et Breton et, à plus large échelle, entre un dadaïsme en voie de disparation et un surréalisme en plein essor.
« Man Ray. Picabia et la revue Littérature (1922-1924) », du 2 juillet au 8 septembre, au Centre Pompidou, Paris.
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En 1922, André Breton prend seul la direction de “Littérature” qu’il a créée avec Louis Aragon et Philippe Soupault, en 1919. L’écrivain donne alors carte blanche à Francis Picabia pour réaliser la couverture des prochains numéros de la revue.
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Remplaçant le chapeau haut-de-forme retourné de Man Ray, lequel illustrait la couverture des trois premiers numéros, le dessin inaugural de Francis Picabia cherche à créer scandale. Ce “Sacré-Cœur du Christ” reste le seul dessin de couverture imprimé en rouge ; ce qui explique la présence d’un rectangle de couleur dans le coin inférieur droit.
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Picabia file son détournement de l’iconographie religieuse, en représentant une sainte nue se masturbant.
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Ces mains gantées de noir illustrent un numéro rendant compte des premières séances de sommeil établies par Breton sous le titre d’”Entrée des médiums”. Parmi les rédacteurs les plus inspirés, Robert Desnos, que l’objectif de Man Ray surprend plus d’une fois endormi.
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Ces deux paires de semelles masculines et féminines superposées de manière explicite marquent le retour de Max Ernst dans “Littérature”, à laquelle il n’avait plus participé depuis mai 1921.
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Pour ce numéro, Picabia propose un bouquet d’intellectuels peu considérés dans la société littéraire parisienne, parmi lesquels Jean Cocteau, Paul Morand et Marcel Proust, que Man Ray photographie quelques heures après sa mort. Autant de cibles régulièrement visées par “Littérature”.
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Deux projets de couverture figurant un singe sous le titre de l’exposition “La Charpente chez quelques bâtisseurs” devaient relayer la hargne de Picabia envers les soi-disants héritiers d’Ingres. C’est pourtant cet haltérophile à monocle soulevant un angelot féminin qui remporte la faveur de Breton.
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Ces neuf nus féminins tatoués du titre de la revue font penser aux formes langoureuses du fameux “Bain turc” d’Ingres, alias le maître de Montauban. Au même moment, Man Ray photographie des modèles dénudés dans des cadrages évoquant cette couverture.
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Cette couverture se destine à un numéro que Gaston Gallimard, l’éditeur de la revue, a voulu double et consacré à la poésie. Elle remplace un premier dessin arborant ostensiblement le chiffre 11.
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Qualifié de “démoralisant”" par la rédaction, ce tout dernier numéro de “Littérature” vaut surtout pour la première publication du “Violon d’Ingres” de Man Ray, ultime référence au maître de Montauban pour laquelle pose le modèle Kiki de Montparnasse. Les poulets qui rôtissent sur deux grils parallèles semblent évoquer la fin irréversible de la revue. Les cocottes sont cuites !
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