Henri qui ? Matisse, bien sûr, dont une poignée de musées français célèbre le funeste soixantenaire. Filature jusqu’au Musée d’Art moderne de Troyes.
Il y a soixante ans qu’Henri Matisse nous a quittés. L’occasion pour l’Hexagone de rendre hommage à ce maître à cheval entre la peinture, la sculpture, le découpage, et le tissage, une pratique que le musée d’Art moderne de Troyes met aujourd’hui en lumière, dans le cadre d’une exposition particulièrement bien ficelée.
Un parcours cousu de fil blanc ?
Oui et non. Pourquoi Troyes ? Matisse n’y a, a priori, aucune attache et le musée d’Art moderne ne possède aucun espace réservé aux expositions temporaires. A priori, en effet. De même que le Cateau-Cambrésis, commune natale du peintre, Troyes s’est rendu célèbre pour son industrie textile. Quel rapport avec Matisse ? Ses ancêtres paternels étaient tisserands. De là, un goût prononcé pour les étoffes que l’artiste n’exprime que tardivement dans sa carrière. Un délai qui s’explique notamment par la méfiance que lui inspirait tout interprétation artisanale de son travail. On comprend mieux sa réticence face à La femme au Luthe (1943), dont la première version souffre d’un manque flagrant de contraste et de précision. La nervure des feuilles, par exemple, se dissout dans un aplat kaki originellement conçu dans une palette plus vive.
Aussi étroite soit-elle, cette ligne directrice se fraie un chemin entre les piliers de la collection Pierre Lévy, principal donateur du musée d’Art moderne de Troyes. « Cette exposition consacre un cycle dédié à un aspect méconnu de la création française du XXème siècle », déclare Olivier Le Bihan, le directeur de l’institution troyenne. Après la verrerie et la céramique, une série textile amorcée par l’acquisition de tapisseries signées Jean-Jacques Wattel, Jean Lurçat, et André Derain dont l’un des points communs avec Henri Matisse est d’avoir collaboré avec Marie Cuttoli. Ainsi, l’exposition « Tisser Matisse » apporte un éclairage profond sur les fonds du musée troyen.
Le fil rouge
Aussi profond que le bleu qu’utilise Matisse dans Polynésie, le ciel et Polynésie, la terre (1946), les deux tentures-phare de l’exposition où, comme dirait Olivier Le Bihan, « les oiseaux nagent et les poissons volent ». En toile de fond, un échiquier azur et turquoise évoque le va-et-vient entre les mondes sous-marin et céleste. Quand on pense que cette double tapisserie figurait à l’origine sur le mur de la chambre-atelier de l’artiste, sous la forme de papiers découpés et le nom d’Océanie, le ciel / Océanie la mer. Matisse soumet le projet de traduction textile à Georges Fontaine qui ne parvient pas à rendre les nuances de beige et de blanc souhaitées. La manufacture de Beauvais finit par prendre le relais, éditant le fruit de ses propres efforts en non moins de huit exemplaires.
Fenêtre à Tahiti, 1936, carton de tapisserie commandé par Marie Cuttoli
Ce duo mi-terrestre, mi-aquatique résulte en réalité d’une retraite effectuée à Tahiti quinze ans plus tôt. Dans la capitale Papeete, Matisse découvre des étoffes traditionnelles tahitiennes, parmi lesquelles des tapas, tissus végétaux faits d’écorce battue à la main et ornés de motifs géométriques, dont il entame une collection vouée à être complétée dès son retour en France. En 1935, Marie Cuttoli lui commande le fameux carton de tapisserie intitulé Papeete ou Fenêtre à Tahiti. Tissée à Aubusson, l’oeuvre ne satisfait pas le peintre, qui dénonce les infidélités du lissier. Malgré sa déception, Henri Matisse n’en continue pas moins de destiner une partie de ses travaux, telle Verdure ou Nymphe et satyre, au tissage, alimentant par là-même le métissage artistique auquel il tendait de plus en plus vers la fin de sa vie.
« Tisser Matisse », du 28 juin au 19 octobre, au musée d’Art moderne de Troyes.