Cette semaine voit l’inauguration de la première rétrospective consacrée à Joseph Cornell, depuis 1981. Un projet franco-américain que nous dévoile, après six ans de préparation, le musée des beaux-arts de Lyon.
Man Ray, Breton, Dalí, Éluard… Qu’ont en commun ces célébrités hormis le surréalisme ? Toutes ont fui la guerre à New York ; toutes ont exercé une influence certaine sur Joseph Cornell. Et vice et versa. Un patronage dont l’artiste se déprend au fil des années pour se tourner vers le cubisme. C’est du moins l’évolution que retracent les dix sections du musée des beaux-arts de Lyon.
Les poupées russes
La traduction anglaise de « mise en abyme » fait défaut à l’objet qu’elle désigne. C’est aussi l’avis de Matthew Affron, du musée d’art moderne de Philadelphie. Ici, l’expression « a box within a bow » – littéralement, une boîte dans une boîte -, qui évoque les matriochkas russes, ne rend pas justice à l’ensemble du travail de Joseph Cornell. Foudroyé par le roman-collage de Max Ernst « La Femme 100 têtes », l’artiste américain réalise, en 1931, ses premiers « montages » à partir de gravures du XIXe siècle. Sa marque de fabrique ? Une série de boîtes gravitant autour de thématiques variées, de la liberté symbolisée par l’oiseau, à l’astrologie en passant par l’enfance et le cinéma. L’exposition s’ouvre sur des photographies de poupées emprisonnées dans des bocaux, puis sur un de livre évidé en son centre où repose une sorte de hublot mystérieux. Ainsi l’artiste rendait-il hommage à ses idoles, tels Juan Gris dans la dernière salle, Gretta Garbo ou encore Marilyn Monroe, en les mettant en boîte. Parmi ses égéries, un personnage fictif, Bérénice. Un nom qui peut renvoyer à l’héroïne grecque mise en scène par Racine. Pareillement, la valise qui l’incarne rappelle les malles que l’on se presse d’ouvrir, étant enfant, dans la cave ou le grenier d’une vieille maison, un trésor digne du coffret que rend anonymement Amélie à Pierre Bredoteau dans le long-métrage de Jeunet.
Si Cornell doit son goût pour les détournements d’objets au surréalisme, il en va de même pour la variété des formats qu’il utilise, ainsi que sa fascination pour les illusions d’optique, que dénonce la sixième salle de la rétrospective. Il ne dessine pas, quoiqu’il emprunte des gravures du XIXème siècle ainsi qu’à son frère ses croquis, pour illustrer ses travaux. Admiratif des films de Luis Buñuel et de Salvador Dalí, ce monteur hors pair inclut progressivement le septième art dans son œuvre. Un éveil salutaire, brouillant les frontières statutaires. De simple cinéphile et collectionneur d’archives, il monte au grade de réalisateur. Une promotion qu’il assure, en un sens, aux futurs propriétaires de ses œuvres. En effet, par leur malléabilité, ses boîtes appellent à la participation du public. Et ce public, en manipulant les objets qui lui sont montrés, s’élève alors au rang de créateur. Par extension, tout se passe comme si l’exposition était un énorme boîtier, dont le spectateur serait, au fond, un élément constitutif. Dans ce cas, le véritable artiste ne serait autre que le commissaire d’exposition qui non seulement s’approprie les œuvres de Cornell en les disposant le plus fidèlement possible, mais aussi guide les visiteurs de salle en salle dans un espace dont l’agencement lui revient.
Un surréaliste pas comme les autres
Si Joseph Cornell aime mettre en boîte, soit mettre en scène, la réciproque n’est pas vraie. Passées les années 1950, l’artiste se départit peu à peu de la « constellation surréaliste », dont il était présenté comme un « satellite » dans la première section de l’exposition. Au-delà du mur blanc qui fait la jonction entre les deux sections, les deux étages de la rétropsective, cette espèce de mausolée dédié aux acteurs européens du mouvement, l’accent se déplace sur les origines et la poétique de l’artiste. Américain, qui n’a que très peu voyagé, Jospeh Cornell nourrit un humour que l’on ne reconnaît pas chez les surréalistes français. On le voit dans ses courts-métrages inspirés du monde du cirque. L’artiste prêchait, en outre, une « magie blanche » opposée aux idées noires que soutenaient ses pairs. Dans la bataille qui oppose le rêve au cauchemar, l’utopie à l’eschatologie disons qu’il défendait le premier camp.
Surréaliste optimiste, donc, Cornell demeure inclassable. Si l’on est tenté de le rattacher aux préceptes théorisés par Breton en 1922, son évolution vers le néo-romantisme dans les années 1950 et vers le cubisme de Juan Miro dément son appartenance à un genre précis. Autre problème : si sa singularité lui vaut d’être exposé aux côté de Jackson Pollock par exemple, il n’en demeure pas moins méconnu du public français. De là l’intérêt de la rétrospective lyonnaise. Quand on pense à la renommée dont il jouit sur son continent, il serait idiot, en effet, de passer à côté. Comme quoi en art tout est une question de perspective, de point de vue. Est-ce le cœur ou la raison que l’on écoute quand on pense à redonner à un artiste ses lettres de noblesse ? En littérature, en peinture, dans quel que paysage que ce soit, le dilemme « cornellien » demeure, jusque dans sa graphie, double.